Pendant des années, le conseil d'administration de Tesla est resté presque invisible, alors que sa supervedette de président et PDG, Elon Musk, guidait le titre du fabricant de voitures électriques vers des hausses vertigineuses.

Mais aujourd'hui, face au comportement douteux de M. Musk, plusieurs experts estiment que le moment est venu pour le conseil de monter sur scène et d'intervenir concernant le leadership de l'entreprise.

Dérapage après dérapage

Au cours des derniers mois, M. Musk s'est en pris vertement à des analystes de Wall Street lors d'une conférence téléphonique et il a traité de pédophile, sur Twitter, un spéléologue britannique impliqué dans le sauvetage de joueurs de football thaïlandais coincés dans une grotte.

Ajoutons à cela son annonce brusque, également sur Twitter, concernant un projet de privatisation de Tesla, même si le financement de l'opération n'était pas encore assuré. Sans parler d'une entrevue au New York Times où M. Musk confiait en pleurant être submergé par le travail.

La plupart des autres conseils d'administration confrontés à une telle situation seraient intervenus, croient des experts en gouvernance d'entreprise.

Cependant, le conseil d'administration de Tesla -neuf membres, dont M. Musk et son frère Kimbal- est resté silencieux, sauf pour former un comité de trois membres chargé d'examiner le plan de privatisation qui était déjà dans la mire des autorités américaines.

Seulement trois vrais indépendants

Au moins cinq des huit administrateurs non exécutifs de la société ont des liens étroits avec M. Musk ou l'une de ses autres sociétés, remettant en cause leur indépendance.

«Je crois qu'Elon M. Musk est un génie et qu'il a besoin d'être admiré et encouragé, mais ce conseil d'administration doit superviser davantage la direction de l'entreprise. Le conseil d'administration n'est pas censé être un comité d'applaudissements», a expliqué William Klepper, un professeur à la Columbia Business School et un expert en matière de gouvernance d'entreprise.

Kimbal M. Musk fait partie des cinq administrateurs liés à M. Musk. L'administrateur principal, Antonio Gracias, a fondé une société de capital-investissement et est également administrateur de SpaceX, la société spatiale privée de M. Musk. Steve Jurvetson est aussi un administrateur de SpaceX. Il a été mis en disponibilité par son entreprise de capital-risque car des allégations d'inconduite sexuelle ont fait surface l'année dernière.

Un autre administrateur, l'investisseur en capital risque Ira Ehrenpreis, est également un investisseur de SpaceX, tandis que l'administrateur Brad Buss est un ancien directeur financier de SolarCity, un fabricant de panneaux solaires que Tesla a acquis en 2016.

Recherchés : des administrateurs prêts à agir

La dirigeante d'une société australienne de télécommunications, Robyn Denholm, était la seule autre administratrice de Tesla jusqu'à l'année dernière, lorsque deux d'entre eux ont été ajoutés après que les investisseurs se soient plaints d'un manque d'indépendance. James Murdoch, le PDG de 21st Century Fox, et Linda Johnson Rice, la présidente et PDG de Johnson Publishing, ont rejoint le conseil en juillet 2017.

Dans une lettre de 2017 sollicitant deux autres membres du conseil, cinq investisseurs ont écrit que cinq administrateurs de Tesla «avaient des liens professionnels ou personnels avec M. M. Musk qui pourraient compromettre leur capacité à exercer un jugement indépendant».

Un de ces cinq investisseurs - Scott Stringer, le contrôleur de la ville de New York qui gère les investissements de la mégalopole chez Tesla - a estimé lundi que Tesla n'avait pas besoin de plus de membres du conseil d'administration; la compagnie avait besoin de membres capables de s'imposer. «Ils doivent faire des choix difficiles concernant les membres actuels du conseil d'administration et décider si leur expertise correspond vraiment à la mission de Tesla.»

M. Klepper croit qu'il est temps que le conseil «examine de près les structures de gouvernance et de rémunération de Tesla pour garantir la mise en place de processus adéquats pour assurer pour l'indépendance et la surveillance du conseil d'administration».

Trois membres réélus malgré l'opposition d'experts

Deux grandes entreprises spécialisées dans les questions de gouvernance d'entreprise ont conseillé aux actionnaires de Tesla de remanier le conseil d'administration en début d'année, invoquant des conflits d'intérêts et des décisions inquiétants qui ont soulevé des questions sur les liens entre les administrateurs et M. Musk.

Les actionnaires ont fini par rejeter les recommandations de Institutional Shareholder Services (ISS) et de Glass Lewis & Co. lors de l'assemblée annuelle de Tesla en juin et ont réélu les trois administrateurs - MM. Gracias, Murdoch et Kimbal M. Musk - dont les mandats devaient expirer.

Glass Lewis a recommandé de voter contre les trois; ISS s'est opposé à la réélection de MM. Gracias et de Murdoch, mais a conclu qu'il n'y avait aucune raison pour évincer Kimbal M. Musk parce qu'il ne siège à aucun comité du conseil exigeant une indépendance face à son frère.

Tesla n'a voulu faire aucun commentaire à propos de ses administrateurs, et les membres arrivés lundi n'ont pas répondu aux questions. Mais la société a souligné sa procuration selon laquelle sept membres sur neuf sont considérés comme indépendants sur la base des normes établies par le marché boursier du Nasdaq, où les actions de Tesla sont négociées. La société a déclaré que MM. Ehrenpreis et Gracias ne possèdent pas de participation dans Tesla.

L'action de Tesla est un yo-yo depuis le 7 août

Les actions de Tesla montent et descendent depuis que M. Musk a annoncé sur Twitter, le 7 août, qu'il envisage de fermer le capital de la compagnie. Même si M. Musk a déclaré que des fonds avaient été obtenus pour ce qui pourrait représenter une transaction d'au moins 20 milliards $ US, la société a révélé par la suite que ce n'était pas le cas. Le jour de l'annonce, les actions ont augmenté de 11 pour cent, mais ont chuté de près de 19 pour cent depuis ce moment, clôturant lundi à 308,44 $ US.

M. Musk a révélé qu'il avait lancé la proposition sur Twitter en se rendant à l'aéroport - sans que personne ne voie ou ne revoie la publication. Il a écrit plus tard qu'il avait informé le conseil d'administration le 2 août et que le conseil d'administration s'était réuni deux fois avant l'annonce.

Selon des experts, dans des circonstances plus normales, le comité du conseil aurait évalué le plan avant sa publication, signe que les administrateurs de Tesla ne jouent pas un rôle actif dans la gestion de la société.

Elon Musk dirige trois entreprises en plus de Tesla

Tesla, qui a commencé à vendre des actions au public en 2010, a une structure de gouvernance qui ressemble plus à une entreprise en démarrage qu'une entreprise qui a généré un chiffre d'affaires de 11,76 milliards $ Y US et des ventes de 101 000 véhicules l'an dernier, selon les experts.

M. Musk est président du conseil, chef de la direction et «architecte de produits», et la société n'a pas de directeur de l'exploitation, un poste qui gère les opérations quotidiennes et permet au patron de se concentrer sur des idées plus vastes. En revanche, chez Apple, Steve Jobs détenait un titre de PDG et était profondément impliqué dans le développement de produits alors qu'il était encore en vie, laissant les opérations quotidiennes de la société à Tim Cook, alors chef des opérations.

Les problèmes de Tesla sont aggravés par le fait que M. Musk divise son temps entre Tesla et au moins trois autres entreprises.

«M. Musk ne peut pas être tout à tout moment», a dit M. Klepper.

«Profondément troublé»

Charles Elson, le directeur du centre de gouvernance de l'Université du Delaware, croit que le conseil a le devoir d'évaluer si M. Musk peut continuer à diriger dans la foulée de sa confession au New York Times la semaine dernière, concernant l'impact de son emploi du temps sur sa santé.

«Il présente l'image de quelqu'un qui est profondément troublé, a dit M. Elson. Diriger une entreprise est déjà assez difficile. Se trouver dans cet état d'esprit est quelque chose de différent.»

Avec un conseil d'administration normal et une gouvernance d'entreprise normale, M. Musk aurait déjà disparu, croit M. Elson.

«Il y a des gens qui ont été tassés pour moins que ça», dit-il.