L'essence est bon marché en Amérique du Nord. Comment les constructeurs entrevoient-ils l'avenir des véhicules électriques dans ce contexte ? Entrevue avec Kevin Layden, directeur de l'ingénierie des véhicules électriques chez Ford, où 4,5 milliards seront investis dans l'électrification au cours des 10 prochaines années.

À la fin de l'an dernier, Ford a annoncé un investissement de 4,5 milliards de dollars US dans le domaine de l'électrification des véhicules, et compte proposer 13 nouveaux véhicules rechargeables d'ici 2020.

La personne chargée de dépenser une bonne partie de cet argent est Kevin Layden, directeur de l'ingénierie des véhicules électriques chez Ford.

« Ce sont des sommes qui sont intimidantes », a dit M. Layden en entrevue avec La Presse en marge du symposium international sur les véhicules électriques EVS29, qui avait lieu la semaine dernière à Montréal.

Photo : Ford

Dix ans de R&D en électrification

Lorsqu'on pense aux véhicules électriques, Ford n'est pas le premier nom qui vient à l'esprit. Le géant de Detroit travaille pourtant depuis 10 ans dans l'électrification, notamment avec l'Escape Hybride, puis plusieurs autres modèles hybrides comme le C-Max Energi et 100 % électriques comme la Focus Electric.

Actuellement, Ford possède environ 3 % des parts de marché des véhicules électriques et des hybrides rechargeables en Amérique du Nord.

Selon M. Layden, un des défis est de vendre des véhicules électriques alors que l'essence est extrêmement bon marché aux États-Unis. « Lorsqu'on regarde les ventes de véhicules électriques, elles tendent à monter et à baisser en même temps que le prix de l'essence. Pour aider les ventes, nous avons baissé les prix de nos voitures rechargeables de 3500 $ au Canada. En incluant le rabais du gouvernement, elles sont maintenant aux mêmes prix que les modèles à essence. Et vous avez les avantages liés au fait d'avoir une plaque d'immatriculation verte, comme l'accès aux voies réservées. »

La C-MAX Énergi. Photo : Ford

«Je ne crois pas que ça va s'arrêter...»

Il y a deux ans, Ford employait environ 350 personnes dans son programme d'électrification. « D'ici la fin de cette année, nous voulons faire passer ce nombre à 1000, et le faire croître encore plus dans les années à venir, dit M. Layden. C'est un engagement que nous avons pris. On ne retournera pas en arrière. Nous allons continuer d'électrifier, continuer d'étendre notre offre.

Nous entendons électrifier un camion ou un pick-up avant la fin de la décennie. Nous voulons aussi produire un véhicule électrique abordable capable de faire 320 kilomètres ou plus. » Chevrolet, le rival de Ford, mettra en vente un tel véhicule, la Bolt, l'hiver prochain.

Ford compte aussi investir dans le laboratoire de batteries de l'Université du Michigan afin de faire progresser la recherche dans ce domaine. « Je ne cesse d'être surpris par la rapidité des changements dans les batteries. Par la chute dans les coûts des batteries, leur taille, leur poids et leur capacité à emmagasiner l'énergie. Je ne crois pas que ça va s'arrêter. »

Ford va électrifier un pick-up. Des indépendants l'ont déjà fait. Dès 2008, les quatre moteurs-roues du F-150 de HiPa Drive étaient plus puissant que le V8 qui avait été enlevé du capot. Photo : HiPa Drive

Du scepticisme à l'enthousiasme

Les consommateurs n'ont pas encore le réflexe de se trouver du côté des véhicules électriques, ce que M. Layden a pu constater dans sa propre salle à manger.

Dans sa famille, il n'y avait pas beaucoup d'enthousiasme lorsqu'est venu le temps d'aller prendre possession d'une première Ford hybride rechargeable.

« Entre ma femme et ma fille, personne ne s'offrait pour aller prendre possession de la voiture. Mais quand nous l'avons eue, boum, ma fille s'est mise à toujours vouloir la conduire quand elle a réalisé qu'elle ne devait aller faire le plein qu'une fois toutes les six ou huit semaines. Elle ne reviendrait pas en arrière. Maintenant, il faut faire un grand travail pour expliquer cela aux gens, leur montrer la valeur dans ces véhicules. Il faut enlever les barrières, notamment pour ce qui est de la recharge, et changer le Code du bâtiment pour qu'il appuie l'électrification des véhicules. »

Un autre défi sera de démystifier la recharge des véhicules électriques sur la route. « Notre nouvelle Ford Fusion 100 % électrique aura une autonomie de 160 kilomètres, et la capacité d'être rechargée dans les bornes rapides. Encore là, les gens sont souvent confus lorsqu'il est question des différentes options de recharge, et nous réfléchissons à des solutions. Chose certaine : il faudra une norme universelle. Les propriétaires de véhicules électriques devront pouvoir s'arrêter dans n'importe quelle station de recharge, sans devoir se soucier de la compatibilité. »