Le remaniement ministériel à Québec, le 11 octobre dernier, soulève des interrogations quant à l'application à venir de la Loi visant l'augmentation du nombre de véhicules automobiles zéro émission, ou loi 104. Entrera-t-elle en vigueur comme prévu sur les véhicules millésimés 2018 ? Des représentants de l'industrie automobile espèrent que non. Voici pourquoi.

Avec le système de crédit et de redevances proposé par la loi, doit-on s'attendre à une hausse du prix des véhicules neufs vendus au Québec l'an prochain ?

En demandant aux grands constructeurs de réserver 3,5 % de leurs ventes à des véhicules zéro émission en 2018, même en incluant les véhicules vendus entre 2014 et 2017 et certains modèles usagés provenant de l'extérieur du Québec dans ce calcul, la barre reste trop haute pour certains. Mazda et Subaru n'ont même pas de tel véhicule dans leur catalogue ! Pour se conformer, ils devront participer à un système de crédits et de redevances encore flou qui sera mis en place par Québec. Le coût de ces crédits pourrait avoir un effet sur le prix des véhicules de ces constructeurs, estiment les experts. « Une haussedes prix est certainement une possibilité dans l'état actuel des choses, croit Me Frédéric Morin, vice-président aux affaires juridiques de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ). Les fabricants vont chercher à éviter une hausse des prix, mais il y a toujours quelqu'un qui finit par payer, et c'est souvent le consommateur. »

En haussant substantiellement le nombre de véhicules électriques sur les routes, la demande pour des bornes de chargement publiques, résidentielles ou commerciales va augmenter rapidement. Le Québec est-il prêt à cette transformation accélérée ?

L'été dernier, la CCAQ a proposé cinq modifications à la loi 104. En somme, l'organisme estime que la technologie est insuffisante pour que 100 000 véhicules zéro émission trouvent preneurs l'an prochain seulement. De toute façon, l'infrastructure n'est pas encore tout à fait en place non plus, ajoute Me Morin. « Si j'achète une voiture électrique et que je demeure en appartement, où et comment puis-je me brancher ? Il n'y aura pas assez de bornes du réseau électrique pour satisfaire tout le monde »,dit-il. Si le Québec n'est pas prêt, pourquoi s'attendre à ce que les constructeurs le soient ? demande-t-il. 

Est-ce que la loi 104 pourrait avoir un impact sur la gamme de véhicules vendus au Québec par les constructeurs ?

Aux États-Unis, une dizaine d'États appliquent une loi similaire à la loi zéro émission du Québec. Dans leur cas, il y a des exemptions qui facilitent la tâche des constructeurs : les véhicules voués au travail, les véhicules commerciaux et les véhicules d'urgence sont exclus des calculs. Ça permet de hausser artificiellement la part de marché des véhicules électriques, ce qui plaît aux commerçants. Sinon, ceux-ci craignent de voir leurs gammes de véhicules vendus au Québec réduites, afin de les conformer aux cibles fixées par le gouvernement. Pour le moment, toutefois, la loi a plutôt eu l'effet contraire : Toyota Canada a notamment décidé de réserver tous ses exemplaires de la Prius Prime, une hybride rechargeable, pour le marché québécois, un geste qui pourrait être reproduit par d'autres constructeurs, comme Hyundai ou Kia, entre autres.

Plusieurs villes et États, dont la Chine et la Norvège, songent à abolir les véhicules à moteur thermique sur leur territoire entre 2025 et 2050, ce qui forcera un virage important dans l'industrie automobile mondiale. La loi 104 est-elle encore utile dans ce contexte ?

Le Québec n'est pas un gros marché pour l'industrie automobile et son influence y est plutôt limitée. Avec une version édulcorée de sa loi, la province pourrait se targuer d'avoir été le précurseur dans l'électrification des transports, sans avoir joué un rôle aussi important que la Chine, par exemple. « C'est écrit dans le ciel que l'industrie s'en va vers l'électricité et l'hydrogène, explique David Adams, directeur général des Constructeurs mondiaux d'automobiles du Canada. Nous sommes d'accord avec l'esprit de la loi. Son échéancier et les mécanismes proposés pour accélérer ce virage sont ce qui pose problème à l'industrie. »

La loi 104 entrera-t-elle en vigueur en 2018 ?

La loi adoptée à l'unanimité il y a un an impose des seuils croissants de ventes de véhicules sans émission pour 2018 (3,5 %), 2020 (6,9 %) puis 2025 (15,5 %). Du côté de l'industrie, on demande de repousser ces dates, d'élargir la définition de véhicules zéro émission afin d'y inclure les hybrides ou d'abaisser la cible de 100 000 véhicules dès l'an prochain. Une grève des avocats de l'État, plus tôt cette année, et le remaniement ministériel du 11 octobre dernier retardent la publication d'une version finale de la loi et compliquent son entrée en vigueur. Depuis, le gouvernement garde le silence sur la suite des choses. « 2018 est aussi une année d'élections au Québec », rappelle M. Adams, ce qui alimentera sans doute la spéculation.