Lawrence Stroll a fait fortune en reprenant des entreprises de mode en difficulté pour ensuite les relancer vers le succès. C’est grâce à lui et à ses associés si des marques comme Michael Kors ou Tommy Hilfiger sont aujourd’hui très prospères.

Stroll est aussi passionné de sport automobile et, en plus de plusieurs voitures de collection, il possède le circuit Mont-Tremblant dans les Laurentides. Pas étonnant que son fils Lance soit devenu pilote ; ses dons lui ont vite permis de gravir les échelons. Et quand le moment est venu d’accéder à la F1, l’argent de Lawrence est évidemment devenu un atout.

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Le pilote Lance Stroll et son père Lawrence, propriétaire de Racing Point

M. Stroll a apporté une contribution financière importante à l’équipe Williams, en 2017, quand son fils y a fait ses débuts au plus haut niveau. Il a même tenté d’acheter l’équipe, mais les réticences de la famille Williams l’ont amené à tourner son attention vers Force India, une équipe en difficulté qui avait justement besoin d’un « repreneur ».

Habitué à ce genre de transaction, Stroll a formé un consortium avec des investisseurs qu’il connaissait déjà et qui, pour la plupart, avaient déjà travaillé avec lui. L’affaire s’est réglée au milieu de l’été 2018 et c’est au Grand Prix de Belgique qu’a débuté l’aventure de Racing Point.

En février 2019, c’est à Toronto qu’ont été présentées les nouvelles couleurs de l’équipe SportPesa Racing Point, une première historique au Canada. Stroll a alors expliqué : « Nous voulions d’abord rétablir la stabilité financière de l’équipe et donner aux ingénieurs les moyens de développer la voiture. »

« Pour l’instant, nous voulons continuer de nous battre en milieu de peloton, en visant la quatrième place au classement des constructeurs. À plus long terme, l’objectif est de devenir l’une des meilleures équipes des paddocks et de viser la victoire ! » — Lawrence Stroll, propriétaire de l’équipe Racing Point

Les nouveaux propriétaires savent que les choses ne changeront pas du jour au lendemain et ce n’est pas le début de saison un peu décevant de Racing Point qui va les inquiéter. Stroll fait confiance aux dirigeants en place et il entend leur fournir les ressources pour progresser au meilleur rythme possible.

« Ils n’avaient certainement pas, en 2018, tous les fonds nécessaires pour préparer la voiture de cette année, a-t-il souligné récemment en point de presse. Nous savions que les premières courses seraient difficiles, mais nous allons tenter d’effectuer des changements plus rapidement que les autres équipes. Peut-être pas aussi vite que les grosses équipes, mais aussi vite que nous le pourrons. »

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Lance Stroll et le directeur de l’équipe Otmar Szafnauer

Rattraper le temps perdu

Après des années à se serrer la ceinture, l’équipe Racing Point peut maintenant travailler comme elle l’entend. À sa tête depuis 10 ans, Otmar Szafnauer a réussi à garder le bateau à flot quand les problèmes financiers et judiciaires de l’ancien propriétaire Vijay Mallya ont mené Force India au bord de la faillite.

« Ma priorité a toujours été de sauvegarder les emplois et de garder tout le monde bien concentré sur son travail, a expliqué Szafnauer en entrevue. Quand on a un budget restreint, chaque décision est capitale et il faut être certain de son coup quand on autorise une dépense, quand on engage du personnel ou qu’on choisit un pilote. »

Né en Roumanie, Szafnauer a vu son père emprisonné à l’époque du communisme et de Nicolae Ceausescu. La famille a réussi à émigrer aux États-Unis au début des années 70 et c’est le jeune Otmar qui a convaincu son père d’aller à Detroit parce qu’il s’intéressait aux automobiles.

Devenu ingénieur, il est entré chez Ford, puis a suivi son collègue Adrian Reynard en 1999 quand ce dernier a lancé l’équipe BAR, avec Jacques Villeneuve et Craig Pollock. Il n’a jamais quitté la F1 depuis et est directeur général de Force India/Racing Point depuis 2009.

Même si Lawrence Stroll assure que l’équipe disposera maintenant de ressources financières suffisantes pour rivaliser avec ses concurrentes, les déboires des dernières années ont entraîné un retard certain, tant dans le développement des structures de l’équipe que dans celui des voitures.

Il faut rattraper le temps perdu et ce n’est pas qu’une question d’argent.

« Ma priorité, pour les prochaines années, c’est de produire la voiture la plus rapide possible, tout en faisant de l’équipe le meilleur endroit pour travailler. » — Otmar Szafnauer, directeur de l’équipe Racing Point

« À cette fin, la construction d’une nouvelle usine sera très importante et nous espérons pouvoir nous y installer à temps pour la saison 2021 », poursuit M. Szafnauer.

Déjà tourné vers l’avenir

Quant à rendre la voiture plus rapide, il faudra peut-être aussi attendre un peu. Le directeur technique de Racing Point, Andrew Green, a expliqué en entrevue à Monaco que ce n’est sans doute pas avant plusieurs mois, voire une saison que l’on verra vraiment l’impact de la croissance de l’équipe.

« Nous avons beaucoup à faire maintenant que nos problèmes financiers sont derrière nous, mais il faut être patients, travailler de façon systématique. Nous aimerions progresser plus vite, c’est certain, mais nous sommes satisfaits du rythme actuel avec lequel nous mettons en place les différents éléments qui vont nous permettre d’aller de l’avant. »

Green ne s’est pas montré trop inquiet des performances décevantes de l’équipe à Barcelone et à Monaco. « Nous savions que ce serait dur à Barcelone, même si nous avions de nouveaux éléments aérodynamiques. Ce circuit nous a toujours causé des ennuis, c’est un peu dans l’ADN de notre voiture. Quant à Monaco, il ne nous manquait pas grand-chose, mais c’était déjà pas mal joué après les qualifications, quand nos deux pilotes se sont arrêtés en Q1. Même s’ils se sont bien battus, ils n’avaient guère de chances de revenir sur un circuit où il est impossible de doubler.

« Nos améliorations devraient être plus efficaces sur les prochains circuits et, surtout, nous devrions introduire un tout nouvel ensemble aérodynamique plus tard cet été quand nous reviendrons en Europe. En fait, la voiture sera pratiquement nouvelle. » — Andrew Green, directeur technique de Racing Point

À moyen terme, Green fonde beaucoup d’espoirs dans les nouvelles règles qui entreront en vigueur en 2021. Selon lui, les voitures actuelles sont trop complexes et il est difficile pour une équipe de la taille de Racing Point de rivaliser avec des « géants » comme Mercedes ou Ferrari, même avec plus de ressources.

« Il y a actuellement des merveilles d’ingénierie à l’arrière de la voiture, avec ces moteurs hybrides très sophistiqués et très coûteux. C’est peut-être trop compliqué. À moyen terme, ce serait bien si nous revenions à une réglementation technique plus simple. Et ce serait encore mieux si c’était moins compliqué et moins coûteux. »

Les autres actionnaires de Racing Point

Même si sa fortune est estimée à 2,6 milliards, Lawrence Stroll aurait difficilement pu acquérir seul une équipe de F1. Voici ses partenaires dans l’équipe Racing Point : 

André Desmarais, dirigeant de Power Corporation, société canadienne qui a des intérêts dans les services financiers, la communication et l’énergie, avec des investissements dans des sociétés très diverses.

Jonathan Dudman, de Monaco Sports and Management, société issue d’IMG, qui représente des sportifs et d’autres célébrités. Lance Stroll est l’un de leurs clients.

John D. Idol, entrepreneur dans la mode, qui a dirigé des marques comme Polo Ralph Lauren et DKNY. Associé à Lawrence Stroll, il a pris la direction de Michael Kors au début des années 2000.

John McCaw Jr., investisseur en télécommunication. Il a été actionnaire de plusieurs équipes sportives (Mariners de Seattle, Canucks et Grizzlies de Vancouver), en plus de posséder l’équipe PacWest dans la série IndyCar.

Michael De Picciotto, directeur de la banque privée fondée par sa famille. Il dirige aussi depuis quelques années la société immobilière Engel & Völkers.

Silas Chou, investisseur dans la mode. Il est lui aussi associé de Lawrence Stroll depuis plusieurs années et ils ont travaillé ensemble à la relance de marques comme Tommy Hilfiger et Michael Kors.

D’autres équipes « canadiennes » en F1?

À l’exception de Ferrari et d’Alfa Romeo, toutes les équipes de F1 sont établies en Grande-Bretagne, et Racing Point ne fait pas exception. L’usine actuelle, qui devrait être bientôt remplacée, est située près du circuit de Silverstone, au nord de Londres.

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Jacques Villeneuve au volant d’une BAR, à Montréal, en 2002

L’équipe s’est quand même donné une identité très « canadienne » depuis sa reprise, l’été dernier, par un consortium mené par le Montréalais Lawrence Stroll. Un autre actionnaire, André Desmarais, est canadien et plusieurs commanditaires sont des entreprises d’ici. Ce n’est pas la première fois que de telles opérations se produisent en F1.

1963

Stebro La seule véritable F1 canadienne de l’histoire a été conçue en 1963 par Peter Broeker dans l’usine montréalaise où il dirigeait une entreprise de pièces automobiles. Stebro construisait déjà des monoplaces de Formule junior et Broeker a décidé d’équiper l’un de ses châssis d’un moteur Ford et d’une transmission Hewland afin de démontrer le savoir-faire canadien. Inscrit au Grand Prix des États-Unis, il a pris le septième rang. La voiture a ensuite pris part à des épreuves de F1, F2 et Formule libre, mais jamais plus à un Grand Prix.

1977-1979

Walter Wolf Racing Propriété de l’homme d’affaires austro-canadien Walter Wolf, cette équipe a participé au Championnat du monde de 1977 à 1979. Les débuts ont été spectaculaires, avec une victoire lors de la première épreuve, en Argentine, avec le Sud-Africain Jody Scheckter, qui remporté deux autres épreuves cette saison-là, à Monaco et au Canada, pour terminer au deuxième rang du championnat. La suite a été moins brillante, malgré la présence de pilotes comme James Hunt ou Keke Rosberg, et Wolf a décidé de vendre son équipe au Brésilien Emerson Fittipaldi à la fin de 1979.

1999-2004

L’aventure BAR Champion du monde en 1997, Jacques Villeneuve a pourtant annoncé son départ de l’équipe Williams quelques mois plus tard, pour se joindre à la formation créée par son agent Craig Pollock avec l’ingénieur Adrian Reynard et le soutien financier du groupe British American Tobacco. Sans être l’un des propriétaires de l’équipe, Villeneuve recevait un salaire très élevé. Après plusieurs saisons difficiles, Pollock (en 2002) puis Villeneuve (en 2003) ont été écartés de l’équipe.