On a beau avoir roulé des centaines de fois sur l'autoroute Jean-Lesage à la hauteur de Saint-Liboire, on ne l'avait jamais aperçue. Portée à bout de bras par une poignée de bénévoles, la « Chapelle mobile » est pourtant installée là depuis près de 10 ans, aménagée dans un camion semi-remorque à l'extrémité du stationnement de la halte pour camionneurs de la sortie 145.

« Les gars rentrent ici et racontent leurs histoires. Il y a des gars qui songent au suicide, des gars qui dérapent, des gars pognés dans des histoires très difficiles. Ces gars-là, il faut qu'ils parlent. Ils ont confiance quand ils viennent ici », nous a raconté Jacques Poirier, qui vient d'hériter de la direction de la chapelle au terme d'une carrière d'une quinzaine d'années comme routier de longue distance.

Photo: Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Chapeautées par une organisation chrétienne évangéliste, les chapelles « mobiles » sont évidemment ouvertes à tout le monde. Photo: Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Le suicide d'un ami

L'homme de 65 ans, solide comme un chêne, donne un coup de main à la chapelle de la sortie 145 depuis 2007, mais il est devenu aumônier en 2013 à la suite du suicide d'un ancien collègue, un vétéran de l'armée. « C'est ce qui m'a décidé à donner du temps comme aumônier, s'est-il rappelé. Mais ça me travaillait depuis 2001 d'offrir de l'aide aux camionneurs. »

Avec les conditions de travail imprévisibles inhérentes au métier de camionneur, bien malin celui qui réussit à prévoir dans son horaire des séances de consultation chez le psychologue. Sans compter que, selon M. Poirier, bien des routiers hésitent à faire appel aux services-conseils offerts par leur employeur, le cas échéant. « Ça, c'est quand ils acceptent de reconnaître qu'ils ont un réel problème », a-t-il affirmé.

Solitude, conciliation travail-famille à peu près impossible, problème conjugaux, Jacques Poirier et ses collègues de la chapelle de Saint-Liboire font chaque mois une quinzaine de rencontres approfondies avec des camionneurs de passage, sans compter les rencontres plus brèves. « On n'est pas là pour dire aux gens quoi faire. On est là pour les orienter à trouver une solution qu'ils portent déjà en eux, a expliqué M. Poirier. Mais on peut faire une différence ; un gars qui avait vraiment besoin d'aide est venu me voir un jour et il m'a dit après coup que si je n'avais pas été là, il aurait foncé dans le premier viaduc aussitôt parti du truck-stop. »

Donner au suivant

Joignable en tout temps même lorsqu'il n'est pas présent à la chapelle, Jacques Poirier a déjà été aumônier bénévole pendant 10 ans à la prison fédérale de Drummondville - il était à l'époque soudeur en mécanique d'entretien. Pour lui, il s'agit d'un juste retour des choses. « J'ai déjà été en difficulté quand j'étais jeune, j'ai eu chaud, et il y a des gens qui m'ont aidé, a-t-il reconnu. Je donne donc au suivant. J'ai 10 ans à consacrer aux camionneurs, après quoi je vais devoir trouver de la relève. »

M. Poirier a par ailleurs entrepris des démarches dans l'espoir d'obtenir le soutien des entreprises de transport.

Chapeautées par une organisation chrétienne évangéliste, les chapelles « mobiles » sont évidemment ouvertes à tout le monde. « Je suis chrétien évangéliste, mais il n'y a pas que ça, a indiqué Jacques Poirier, rassurant. Il faut d'abord prendre le temps d'écouter les gens. On ne commence pas à taper sur la tête des gars avec les enseignements de la Bible ! Au travers des solutions, il y a la Bible, mais je ne vais pas l'imposer. On va toujours commencer par le gros bon sens. Si le gars ne veut pas entendre parler de Dieu, je vais l'aider pareil ! »