C'est lorsque l'on pénètre chez Aston Martin Works que l'on prend toute la mesure de l'âme qui anime encore aujourd'hui le petit constructeur britannique. Ici, on s'aperçoit mieux que nulle part ailleurs qu'Aston Martin se définit mieux que jamais en conjuguant passé et avenir.

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D'abord, on nous accueille dans une salle de démonstration moderne où sont exposées les dernières créations marquées de l'emblème ailé, toutes aussi belles les unes que les autres, à la fois féroces et élégantes, totalement british. On nous guide ensuite vers le grand atelier, où quelques mécanos s'occupent à bichonner certaines des voitures les plus rares au monde : imaginez, il y avait là quatre des 77 One-77 jamais produites ainsi qu'une des deux barquettes CC100 construites l'an dernier pour souligner le centenaire d'Aston Martin. Normalement, on ne voit ces autos qu'en photos.

Mais le véritable trésor d'Aston Martin Works se trouve un peu plus loin, dans le «Heritage Workshop», un autre atelier immaculé et baigné d'un éclairage soigné propre aux galeries d'art. Devant nous se trouvaient entre autres une DB2, la DB3S pilotée par Sir Stirling Moss en 1956 et l'une des 19 DB4 Zagato, véritable oeuvre d'art qui peut se vendre au-delà de 2,5 millions de dollars. Il ne s'agit pas d'un musée, mais bel et bien d'un atelier où sont restaurées ces belles d'une autre époque. Parce qu'Aston Martin veut voir ses voitures sur la route, pas dans un hall d'exposition.

«Tous les dirigeants d'Aston Martin ont démontré un intérêt marqué pour l'héritage de la marque, nous explique Scott Fisher, directeur des relations publiques chez Aston Martin Works. Ils se sont assurés que nous n'ayons pas perdu les outils et les connaissances pour entretenir les classiques.»

Vous aurez compris qu'Aston Martin n'abandonne jamais une de ses créations, quelle qu'elle soit - on a d'ailleurs vu quelques carrossiers se préparer à polir les tôles carrées d'une mal-aimée Lagonda des années 70.

«Entretenir les voitures classiques est en quelque sorte inscrit dans l'ADN d'Aston Martin, ajoute M. Fisher. Dans 30 ou 40 ans, les voitures produites aujourd'hui vont à leur tour devenir des classiques qui seront pris en charge par Aston Martin Works.»

900 millions d'investissements

En 101 ans d'existence, Aston Martin n'a construit que 60 000 voitures, une majorité d'entre elles au cours des 15 dernières années. Néanmoins, le pic de 7000 autos produites en 2007 démontre à quel point les Aston Martin demeurent exclusives. Aujourd'hui, on produit environ 4200 Aston par année dans l'usine de Gaydon, à 70 km de l'ancienne usine de Newport Pagnell, qui abrite aujourd'hui les ateliers Aston Martin Works.

L'objectif est de surpasser les 7000 ventes d'ici 2016, et c'est la tâche qui attend le nouveau PDG de l'entreprise, Andy Palmer, tout récemment débauché de son poste de chef de la planification chez Nissan-Renault. Le Britannique de 51 ans - qui était en fait le bras droit du grand patron Carlos Ghosn - devra orchestrer le plus ambitieux plan de développement jamais entrepris chez Aston Martin. Les propriétaires du petit constructeur ont allongé près de 900 millions de dollars pour un agrandissement de 10 000 m2 qui abritera en 2015 la nouvelle chaîne d'assemblage de la prochaine plateforme qui sous-tendra les futures Aston Martin.

Le constructeur a récemment déposé les noms DB10 à DB15, la DB10 devant arriver en 2016 - elle devrait vraisemblablement avoir un «rôle» dans le prochain James Bond. De même, on prévoit le lancement d'un multisegment de grand luxe en 2017. Ces nouvelles Aston Martin seront propulsées par le V8 biturbo 4,0 L de 510 chevaux signé Mercedes-AMG, qui incidemment vient d'être dévoilé sous le capot de la toute nouvelle AMG GT. Il s'agit de la première étape d'une entente de collaboration entre Aston Martin et Daimler, qui verra en contrepartie augmenter à 5 % ses parts dans l'entreprise britannique. Les balbutiements d'une participation à plus grande échelle du constructeur allemand? «Aston Martin est une marque fantastique et nous sommes prêts à soutenir son développement», s'est contenté de dire le patron de Mercedes, Dieter Zetsche, lorsque interrogé par le magazine britannique Autocar...

Expérience de conduite

En attendant (ou pas) de se retrouver sous l'aile protectrice du géant allemand, Aston Martin a réussi à augmenter ses ventes de 11 % en 2013. Tout ça malgré le fait qu'elle accuse un certain retard technologique face à la concurrence. C'est que, mieux que quiconque - mis à part sans doute Ferrari -, Aston Martin est arrivé à conserver son aura intacte.

Notre conviction a été renforcée après avoir visité la magnifique usine de Gaydon, et plus encore en partageant le repas du soir en compagnie de John Muirhead, directeur des communications d'Aston Martin depuis plus de 20 ans : «D'accord, nous sommes un peu de la vieille école, notre technologie n'est peut-être pas à la fine pointe, a-t-il affirmé en toute candeur. Mais pour moi, une voiture sport représente avant tout une expérience de conduite. L'assistance au freinage et les systèmes de navigation, c'est de la merde, c'est bon pour les limos Audi et Mercedes. Une voiture sport doit être une prolongation de votre corps, vous devez ressentir toutes les sensations de la route directement dans vos fesses. Si vous achetez une Aston Martin pour toute autre raison, vous l'acheter pour la mauvaise raison.»

C'était vrai en 1963 avec la DB5, ce sera vrai avec la DB10, à n'en point douter.

Les frais d'hébergement ont été payés par Décarie Motors.

Mon nom est Martin, Aston Martin

Dandy volage par excellence, James Bond a beau avoir goûté aux charmes d'une panoplie de voitures exquises, il revient sans cesse à Aston Martin. La DB5, présentée au célèbre espion par Q dans le film Goldfinger, s'est avérée le plus célèbre exemple de placement de produit au cinéma. La voiture est devenue du jour au lendemain un véritable objet de convoitise. Bond allait retrouver la belle dans quatre autres films, Opération tonnerre (1965), Goldeneye (1995), Casino Royale (2006) et Skyfall (2012). Il allait aussi piloter une DBS dans Au service secret de Sa Majesté, une V8 et une V8 Vantage dans Tuer n'est pas jouer, une Vanquish dans Meurs un autre jour, ainsi qu'une DBS V12 dans Casino Royale et Quantum of Solace. Une toute nouvelle Aston Martin sera par ailleurs dévoilée dans le prochain Bond, Come and Dive, qui sortira en salle en octobre 2015.

Zagato : la filière italienne

C'est en 1959 que John Wyer, alors responsable du programme de course d'Aston Martin, rencontre Gianni Zagato, à la tête d'une boîte de design italienne connue pour ses légers châssis d'aluminium destinés à la piste. Zagato et son jeune designer Ercole Spada transforment ainsi 19 DB4 GT, les rendant plus compactes et plus légères. Dans les années 80, le propriétaire d'Aston Martin, Victor Gauntlett, achète une part de Zagato dans le but de ressusciter la collaboration avec le carrossier italien. La V8 Zagato est présentée à Genève en 1986 et sera produite à 52 exemplaires. Viennent ensuite en 2001 le coupé DB7 Vantage Zagato, réservé au marché européen, et en 2003 le roadster DBAR1, vendu aux États-Unis seulement. Les deux voitures, produites à 99 exemplaires, sont les ultimes versions de la série DB7, qui a relancé Aston Martin. En 2011, la V12 Zagato est d'abord construite pour la course, mais elle est finalement produite à 150 exemplaires dans une version légale pour la route. Enfin, pour marquer le centenaire d'Aston Martin, Zagato a produit deux concepts uniques, la DB9 Spyder et la DBS Coupé, qui ont aussi inspiré le design de la Virage Shooting Brake, commandée par un collectionneur dans le cadre du concours d'élégance de Chantilly.

Photo d'archives Alain Raymond, collaboration spéciale

Afin d'alléger au maximum DB4 GT, Zagato a fait supprimer tous les éléments non essentiels comme les pare-chocs en chrome et le bois du tableau de bord.

CC100 : barquette centenaire

À l'occasion du centenaire de la marque, les ingénieurs d'Aston Martin se sont fait plaisir en créant en 2013 une barquette telle qu'on les voyait sur les pistes de course au milieu du siècle dernier. La CC100 adopte une ligne qui rappelle aussitôt celles de la légendaire DBR1, gagnante en 1959 des 24 Heures du Mans et des 1000 km du Nurburgring. Dessinée et construite en moins de six mois, la CC100 a été présentée aux 24 Heures du Nurburgring aux côtés de la DBR1, pilotée à l'occasion par celui qui avait gagné l'épreuve en 1959, nul autre que sir Stirling Moss. Construite à grand renfort de matériaux composites de haute technologie, la CC100 pèse juste un peu plus de 1200 kg. Elle est propulsée par le même engin que la V12 Vantage S, un moulin de 565 chevaux. Seulement deux CC100 ont été construites.

Photo fournie par Aston Martin

La CC100 n'a pas de tableau de bord, mais plutôt une simple console centrale suspendue et intégrant la clé de contact ainsi que les interrupteurs de l'éclairage et les commandes de la boîte de vitesse robotisée.

En chiffres

60 000

Voitures produites par Aston Martin en 101 ans d'existence.

600 000 $

Prix de la restauration complète d'une Aston Martin DB5 chez Aston Martin Works.

200

Heures requises pour recréer une carrosserie d'Aston Martin DB5.

100

Heures de polissage des Aston Martin classiques restaurées chez Aston Martin Works.

4000

Voitures actuellement produites par Aston Martin dans sa nouvelle usine de Gaydon.