En convainquant la haute direction de BMW de lui créer un poste sur mesure de directrice de la durabilité, Daniela Bohlinger a un peu pris son employeur en embuscade. Mais c’était le coup à faire pour s’assurer que l’automobile ait sa place dans une économie circulaire en émergence qui paraît de plus en plus vitale pour sauver la planète d’une catastrophe environnementale imminente.

« Ma mission est de créer le premier constructeur d’automobiles entièrement durable du monde, mais en même temps, mon but n’est pas d’être une pionnière, sinon pour apporter un changement positif à la façon dont l’industrie fait les choses », explique Mme Bohlinger, qui était de passage à Montréal la semaine dernière dans le cadre d’une conférence C2 Montréal par ailleurs plus superficielle que transformative.

Dans un studio de cinéma de Pointe-Saint-Charles entouré de ferraille automobile, et suivie d’une porte-parole du fabricant de capsules à café jetables Nespresso venue parler d’environnement, la designer allemande avait fort à faire pour réduire le niveau de désabusement ambiant face à la portée réelle de son message. Mais contrairement à d’autres, elle avait de la substance à apporter à sa « vision de l’avenir », thème officiel de cette huitième présentation de la populaire conférence.

La durabilité passe par le design

« Il a fallu que je convainque trois fois plutôt qu’une la direction de BMW pour qu’elle intègre une échelle de gradation de la durabilité de tous ses processus, ajoute-t-elle. Ça prend en moyenne sept ans pour concevoir un nouveau produit, alors si on veut que ça change, il faut agir vite. Et, à mon avis, le meilleur moyen d’agir est par le design. »

« Ce qu’on a découvert, c’est que, de l’aérodynamisme au choix des matériaux et composants, 80 % des efforts à faire pour rendre nos produits plus durables passent par le design. »

— Daniela Bohlinger

Redéfinir le luxe pour sauver la planète

On reproche souvent aux constructeurs d’automobiles pour leur paresse à réduire leur impact environnemental, mais il faut aussi jeter la pierre aux consommateurs plus fortunés qui préfèrent la démesure et l’excès aux produits plus responsables. Dans certains milieux, le comble du luxe est d’abattre le dernier représentant encore vivant d’une espèce en voie de disparition. Alors, quand vient le temps d’acheter une voiture…

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRECHETTE, LA PRESSE

La BMW i3 au Salon de l'auto de Montréal.

« On a intégré plein de matériaux recyclés à notre première petite électrique, l’i3, il y a 10 ans. Mais à l’époque, on ne pouvait pas dire à ses futurs acheteurs qu’ils allaient s’asseoir sur une pile de déchets. Aujourd’hui, on peut se vanter d’utiliser de vieux filets de pêche et du plastique qu’on retire de l’océan pour fabriquer des sièges et des tableaux de bord », nuance Daniela Bohlinger.

En effet, les temps changent. Et la définition du luxe aussi. Ce marché, qu’on dépeint souvent comme celui d’où émergeront les tendances adoptées ensuite par le reste de l’industrie de la consommation, commence à prendre conscience d’un changement des mentalités. Les chevaux-vapeur sont peut-être moins importants, en fin de compte, que les chevaux tout court. Ou même les abeilles…

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Daniela Bohlinger était de passage à Montréal la semaine dernière dans le cadre d’une conférence C2 Montréal.

« On le voit avec Apple, qui se distingue en recyclant 100 % de l’aluminium qui va dans certains de ses appareils. Pour les gens qui achètent des produits de luxe, le fait de consommer tout en n’ayant aucun impact néfaste sur l’environnement ou sur la santé des gens devient de plus en plus important. Le luxe, quand on est conscient du pouvoir de notre argent, c’est d’être en mesure de le dépenser intelligemment. »

Pour le groupe BMW, le comble du luxe, c’est de pouvoir stocker six tonnes de plastique provenant de la mer pour voir comment intégrer cette ressource naturelle d’un tout nouveau genre à la production de véhicules BMW, Mini ou même Rolls-Royce…

PHOTO BEN CURTIS, AP

Les déchets de plastique sont partout et BMW tente d'en recycler un peu dans ses voitures. Ci-haut, un jeune homme à la recherche de plastique consigné dans un dépotoir à ciel ouvert du bidonville de Dandora, à Naïrobi, au Kenya.

C’est aussi la possibilité d’avoir un effet positif sur le reste de l’industrie. « On doit penser différemment, mais on doit aussi mener toute la chaîne d’approvisionnement à penser différemment. La transition vers l’électrique, et la possibilité qu’un jour, on ne vende plus de voitures mais qu’on les loue à la demande, est un autre pas vers une économie circulaire qui sera d’abord franchi par les marques de luxe. Appelons ça un luxe raisonnable », dit Mme Bohlinger.

Un luxe raisonnable et, souhaitons-le, durable pour vrai.