Toute forme de culte génère ses excès. La Mustang en est un bel exemple. Produite à plus de 10 millions d'unités, cette sportive à l'américaine a connu bien des hauts et des bas. On n'en voudra pas à ses nombreux fidèles de ne retenir que le meilleur de cette longue histoire qui rappelle ce que l'automobile a déjà représenté: un objet d'expression, d'évasion et de plaisir. La Mustang a toujours tenté de coller à cette description. Célébrée par maints héros de la chanson, dont Chuck Berry (My Mustang) et Serge Gainsbourg (Ford Mustang), cette auto a également inspiré plusieurs producteurs cinématographiques pour ses talents. La Bullitt est issue de l'une de ces productions.

Plusieurs centaines de clubs Mustang existent dans le monde, et les rassemblements de collectionneurs regroupent chaque année des milliers de personnes, mais là n'est pas l'essentiel. Pour tout un chacun, plein de souvenirs viennent en tête lorsqu'on contemple une Ford Mustang. Chaque descendante a tenté, pas toujours avec succès, de regarder vers l'avenir tout en recréant la magie du modèle originel.

Désormais commercialisée dans quelque 140 pays, lesquels contribuent aujourd'hui à compenser l'érosion de ses ventes sur son marché intérieur, la Mustang multiplie ses déclinaisons et réédite ses vieux succès. La Bullitt en un. Et ce n'est pas la première fois que la marque américaine la fait renaître. C'est la troisième (2001, 2008 et 2019).

Fidèle à ce qu'était le modèle originel, l'auto - uniquement proposée sous les traits d'un coupé - ne manque pas de tempérament et, pour peu qu'on débranche certaines béquilles, elle est du genre à laisser de la gomme sur le bitume à chaque démarrage. Le V8 de 5 L (ou 307 po3, comme aiment le rappeler les nostalgiques) ne peine pas à mouvoir cette voiture dont la carrosserie ne porte pour tout écusson que la signature Bullitt.

Son niveau de consommation est même assez honorable - tant mieux, le réservoir d'essence n'avale que 60 L de super -, pourvu qu'on n'excite point la sensibilité de cette détente déguisée en pédale d'accélérateur.

En fait, ce n'est pas tellement l'accélération ou les reprises (toutes deux demeurent costaudes, rassurez-vous) qui impressionnent le plus. On est davantage soufflé par l'élasticité de cette mécanique qui se manifeste réellement qu'une fois la barre des 4000 tours de rotation par minute atteinte. C'est à ce moment que «le méchant sort»!

Le comportement de la Bullitt sur route sèche et en bon état mérite d'être qualifié de redoutable. L'adhérence à la chaussée rappelle le Velcro, et la direction a les réflexes précis d'une chirurgienne spécialisée dans la réfraction des yeux. Contre toute attente, la transmission manuelle à six rapports, la seule offerte, n'exige pas une main et un pied d'acier trempé pour la manoeuvrer. Et que dire du pommeau lisse et doux comme une boule de billard, sinon qu'il ajoute au plaisir de baratter cette boîte doublée d'un mécanisme chargé de faire correspondre le régime moteur avec le rapport sélectionné au moment de la décélération. Du coup, la méthode talon-pointe si laborieusement apprise par des générations de conducteurs sportifs devient carrément inutile.



Photo fournie par Ford

Photo fournie par Ford

Les temps ont changé

D'accord, la Bullitt fait du bruit (aux sens propre et figuré) partout où elle va. Une vraie star des temps modernes: un talent certain, mais aussi beaucoup de charisme. Partout, elle attire le regard, dévisse les cous sur son passage, alimente les discussions. Elle permet même à son éventuel propriétaire d'élargir son cercle de connaissances. On lui demandera 100 fois de soulever le capot, d'ouvrir la portière, de lancer le moteur. On ira même jusqu'à lui offrir de l'argent pour avoir le privilège de faire le «tour du bloc». Bon à prendre pour couvrir les mensualités de ce véhicule dont le prix de base est fixé à 57 525 $. À cette somme, il faut ajouter les incontournables frais de transport et de préparation (1750 $) et, si besoin, les sièges Recaro en cuir (1800 $).

Pas très fonctionnel - a-t-il besoin de l'être? -, l'habitacle mêle fâcheusement les époques. On retrouve, avec joie, certaines garnitures qui rappellent les débuts de la voiture au grand écran, mais le bloc d'instrumentation numérisé et zébré de couleurs plus voyantes les unes que les autres nous rappelle, si besoin était, que nous sommes bel et bien en 2018...



Photo fournie par Ford

Photo fournie par Ford

Du Derby du Kentucky au Stampede de Calgary

Même si les échappements grondent comme le tonnerre à l'approche d'une tempête, la Bullitt s'arrache de sa position stationnaire avec force et, ô surprise, ne s'essouffle pas. La souplesse et l'élasticité de son moteur lui permettent de jouer, avec une étonnante aisance, les touristes sur les boulevards. Loin d'être exceptionnelle, la visibilité est tout de même bonne pour un coupé. La Bullitt se trouve gênée par son fort diamètre de braquage, lequel pose problème au moment de se garer. Hélas, là n'est pas le seul inconvénient rencontré à son volant. Aussi douée soit-elle, impossible d'en extraire le potentiel sur une route ouverte - air connu pour ce genre de voitures -, mais aussi de tirer pleinement plaisir de ses qualités dynamiques par la faute d'un réseau routier comme le nôtre qui privilégie des suspensions à fort débattement et des pneumatiques à taille haute. La Bullitt n'est pas conçue pour évoluer sur ce terrain. 

Ce serait comme présumer qu'un pur-sang inscrit au Derby du Kentucky peut le jour suivant réaliser des cabrioles au Stampede de Calgary.

Par chance, toutes les routes du Québec ne sont pas que ruines et désolation. Quelques kilomètres d'asphalte épandu uniformément sur un tracé tortueux mettent en relief les compétences nouvellement instruites à cette Bullitt. La direction, à l'assistance bien dosée, rapporte diligemment et avec acuité le travail du train avant aux mains posées sur le volant. Le train arrière, quant à lui, suit parfaitement le mouvement et la trajectoire imprimés à l'avant sans jamais se laisser distraire. La confiance se bâtit très vite, plus vite encore qu'au volant d'une Camaro et d'une Challenger comparables, mais celle-ci peut se défiler tout aussi rapidement sur une chaussée à faible coefficient d'adhérence ou aux mains d'un automobiliste inexpérimenté ou inconscient. La Bullitt est stable et saine, mais on ne la balance pas dans les virages sans respect. Malgré la robustesse qu'elle dégage et son tempérament volontaire, sa conduite exige de la constance, de la fluidité et une forte dose d'anticipation.

Les nostalgiques (ou les irréductibles?) de la conduite sportive à l'américaine trouveront réconfort au volant de ce bolide qui se charge de faire revivre des sensations du passé. Les autres éprouveront sans doute le même bonheur, mais s'empresseront de rappeler que la vocation de l'automobile a bien changé depuis le lancement de la première Mustang...

________________________________________________________

Photo fournie par Ford

Photo fournie par Ford

La fiche technique

L'ESSENTIEL

Marque/modèle: 
Ford Mustang Bullitt

Prix de détail suggéré: à compter de 57 525 $

Frais de transport et de préparation: 1750 $

Garantie de base: 36 mois/60 000 km

Consommation réelle: 13,1 L/100 km

Chez les concessionnaires: maintenant

Concurrentes: Chevrolet Camaro, Dodge Challenger

Consultez le site de Ford

- - -

TECHNIQUE

Moteur essence: V8 5 L atmopshérique

Puissance: 480 ch à 7000 tr/min 

Couple: 420 lb-pi à 4600 tr/min

Poids: 1746 kg

Rapport poids/puissance: 3,63 kg/ch

Mode: propulsion

Transmission de série: manuelle 6 rapports

Transmission optionnelle: aucune

Diamètre de braquage: 11,5 m

Freins (av.-arr.): disque-disque

Pneus (av.-arr.): 255/40R19 - 275/40R19

Capacité du réservoir: 60 L

Essence recommandée: super

- - -

ON AIME

Retour dans le temps

Nécessite un engagement total de l'automobiliste

Performances très solides

ON AIME MOINS

Impossible à exploiter son potentiel sur nos routes

Conduite délicate sur chaussée à faible coefficient d'adhérence

Traitement néo-rétro discutable