Des suspects en garde à vue pendant des semaines, la recherche d'aveux comme but et des condamnations quasi systématiques : le système judiciaire japonais, que le monde a découvert avec l'arrestation choc de Carlos Ghosn, suscite depuis des années des critiques.

« Il n'y a pas de système parfait, mais celui du Japon est unique en ce qu'il permet une détention prolongée avant même toute inculpation et empêche les avocats d'assister aux auditions », résume Kana Sasakura, professeur à l'université Konan de Kobé..

Une très longue garde à vue

Le suspect peut être détenu sans accusation jusqu'à 23 jours. Au bout des premières 48 heures, les procureurs doivent demander une prolongation de la détention à un juge, mais ce dernier donne son feu vert dans l'écrasante majorité des cas.

A l'issue de cette première période, il est courant que le suspect soit arrêté de nouveau pour un autre motif.  Selon des informations de presse, ce scénario est probable pour M. Ghosn dont la garde à vue arrive à terme lundi 10 décembre.  

Le PDG de l'Alliance automobile Renault-Nissan-Mitsubishi Motors, âgé de 64 ans, avait été arrêté le 19 novembre sur des soupçons de dissimulation de revenus sur 5 années. Il séjourne depuis dans une cellule d'un centre de détention du nord de Tokyo.

A titre de comparaison, la durée de la garde à vue est en principe de 24 heures en France. Elle peut atteindre 96 heures pour les affaires hors terrorisme, et 144 heures pour les affaires de terrorisme.

Aveux forcés, taux de condamnation de 99,9 %

Cette pratique « crée un environnement qui favorise les interrogatoires musclés et risque d'aboutir à des aveux forcés et des condamnations injustifiées », estime Amnistie internationale, contacté par l'AFP.  

C'est un héritage des années chaotiques de l'après-guerre, quand le Japon, soucieux de rétablir rapidement l'ordre, conféra un pouvoir accru aux procureurs, au détriment des droits des suspects.

La confession est considérée par policiers et procureurs comme la clé de voûte du dossier, ouvrant la voie à la vérité, même si les expériences d'autres pays ont montré qu'il fallait s'en méfier, explique Mme Sasakura.  

« Tout se joue pendant les investigations, pas pendant le procès » à l'issue duquel l'accusé est jugé coupable dans 99,9 % des cas.  

« C'est incompréhensible qu'ils s'obstinent à user de cette vieille méthode, quand il y en a de meilleures », poursuit-elle. D'autant qu'elle a abouti à des erreurs judiciaires notables.

En 2009, une haute fonctionnaire du ministère de la Santé avait ainsi été arrêtée pour escroquerie présumée et détenue des mois. Elle sera finalement blanchie et des membres du parquet poursuivis pour falsification de preuves.

De même quatre condamnés à mort ont-ils bénéficié, au cours des dernières décennies, d'un nouveau procès au terme duquel ils ont été innocentés et libérés après des années à l'isolement.  

Statu quo face aux critiques

« Protéger les droits d'un suspect est une tâche extrêmement difficile, gagner l'empathie du public aussi », relève Hirofumi Uchida, expert de l'université de Kyushu. Très souvent, la presse s'empresse d'accabler le gardé à vue, lui laissant peu de chances de rétablir sa réputation même s'il est relâché plus tard sans charges.  

« Il faut élever le système à la hauteur des normes internationales », lance l'expert, joignant sa voix aux avocats de la défense et militants des droits de l'homme. Et de préconiser des gardes à vue plus courtes, des avocats présents pendant les auditions et des juges qui ne s'appuieraient pas autant sur les aveux.

« Si rien ne change, le sujet pourrait devenir une source de discorde internationale », prévient M. Uchida, alors que certains en France se sont offusqués du traitement réservé à Carlos Ghosn.

Mais l'opinion publique japonaise paraît réticente à toute réforme, dans un archipel très sûr où crimes, prisons et tribunaux apparaissent au quidam comme un autre monde. De cette sécurité, les procureurs, juges et policiers s'estiment garants par leur travail, souligne le professeur.

Les autorités insistent aussi sur la culture unique du Japon, balayant les remarques venues de l'étranger.

« Chaque pays a sa propre histoire, sa propre tradition, ses propres systèmes judiciaires. Je ne critique pas les règles des autres pays juste parce qu'elles sont différentes, et je trouve cela malvenu de le faire », a ainsi déclaré la semaine dernière Shin Kukimoto, procureur adjoint de Tokyo.