« Je suis très reconnaissant envers Carlos Ghosn », assure le patron de Nissan, Hiroto Saikawa. Il ne se passe pourtant pas un jour sans fuites de l'enquête interne du constructeur japonais, accablantes pour celui qui a remis le groupe sur pied.

Les éléments de l'enquête interne réalisée par le constructeur japonais sont distillés petit à petit, en parallèle de l'enquête du parquet japonais.

L'homme de 64 ans a été arrêté le 19 novembre et accusé de différents crimes financiers. On lui reproche notamment d'avoir camouflé des revenus de 44 millions US.

Maison rénovée, donations, yacht

La semaine dernière, une source proche du dossier révélait ainsi que le Libano-brésiliano-français aurait reçu une rémunération de plus de 7 millions d'euros (9,3 millions de dollars canadiens) en 2018 de la part d'une filiale néerlandaise co-détenue par Nissan et Mitsubishi Motors (NMBV), sans approbation des patrons des constructeurs Nissan (Hiroto Saikawa) et Mitsubishi Motors (Osamu Masuko).

Mardi, une autre source a produit diverses pièces, vues par l'AFP, dans le but d'étayer des charges connues, qui avaient rapidement filtré après l'interpellation de M. Ghosn en novembre à Tokyo.

C'est le cas par exemple des résidences de luxe achetées à Beyrouth ou Rio de Janeiro par une filiale de Nissan aux Pays-Bas, Zi-A.

Selon des compte-rendus de réunions, cette filiale était officiellement censée investir dans des start-ups. En réalité, elle aurait été créée pour procéder à des achats immobiliers profitant au magnat de l'automobile et de sa famille, d'après un mémo interne à l'adresse de Greg Kelly, bras de droit de Carlos Ghosn arrêté en même temps que lui.  

Sur le même volet, Nissan, qui mobilise plusieurs centaines de personnes sur l'enquête depuis plusieurs mois, reproche à son ex-sauveur d'avoir procédé à une coûteuse rénovation de la maison de Beyrouth, avec ruines antiques apparentes.

Deux courriels rédigés en 2017, attribués à l'homme d'affaires de 64 ans et envoyés à des responsables de Nissan, font état d'une demande de transfert d'argent pour payer les artisans et l'entreprise de décoration, et déplorent ensuite des retards dans le paiement.

Au total, les travaux auraient coûté 9,6 millions de dollars canadiens.

Deux lustres valant 100 000 $ pour Madame

Carole Ghosn, épouse du magnat de l'automobile, aurait aussi réclamé, selon un mail adressé en octobre 2017 à un employé de Nissan, le règlement de deux lustres pour le salon, d'un montant de 65 000 euros (98 372 dollars canadiens).

Le fuitage dans les médias de cette information survient alors qu'a été publiée dans les médias une lettre de Mme Ghosn à l'organisme Human Rights Watch dans laquelle elle affirme que son mari est soumis à des conditions de détention dures et qu'il est interrogé à tout heure du jour et de la nuit dans le but d'obtenir des aveux.

Autre soupçon pesant sur M. Ghosn, le versement de rémunérations totalisant 1 million de dollars canadiens de 2003 à 2016 à l'une de ses soeurs pour des activités de conseil.

Dans une lettre en date de mars 2003, ne mentionnant pas leur lien de parenté, le PDG de l'Alliance Renault-Nissan l'informe de son nouveau titre de « conseillère » au sein d'un « Global donation advisory council » qui, selon une source proche du constructeur, n'a jamais existé.

Son contrat sera renouvelé en mars 2010, selon un courriel, malgré une annotation signalant les difficultés de la compagnie japonaise à cause de la crise financière.

Le dossier de Nissan mentionne aussi des donations à des universités libanaises, ou encore une demande de paiement, en 2014, d'un abonnement de yacht-club au Brésil d'une valeur de quelque 84 000 dollars canadiens.

Le tribunal refuse à nouveau de libérer Ghoshn

Par ailleurs, un tribunal de Tokyo a refusé mardi la demande de libération sous caution de Carlos Ghosn. Cette décision signifie que l'incarcération de l'ancien patron du constructeur automobile japonais Nissan se poursuivra encore pendant plusieurs semaines, voire quelques mois.

Le Japon détient fréquemment les suspects jusqu'au début de leur procès, et la décision de mardi n'était donc pas inattendue. Un des avocats de M. Ghosn a prévenu que le dossier est si complexe que le procès pourrait s'ouvrir seulement dans six mois.

M. Ghosn a réitéré son innocence lors d'une audience la semaine dernière. Il s'agissait de sa première apparition publique depuis son arrestation.

« Campagne de déstabilisation »

La défense de Carlos Ghosn n'a pas commenté mardi les accusations faites par Nissan, pas plus que le constructeur Renault, dont l'industriel reste officiellement PDG.

Le groupe au losange avait dénoncé vendredi une « campagne de déstabilisation délibérément orchestrée » après des révélations sur une proche du PDG de Renault, Mouna Sepehri.

Cette directrice déléguée à la présidence de Renault est accusée d'avoir reçu près de 500 000 euros (757 000 dollars canadiens) répartis sur plusieurs années en tant que membre du directoire de l'alliance Renault-Nissan.  

L'enquête de Nissan va plus loin que la justice japonaise, qui a fait arrêter Carlos Ghosn le 19 novembre à Tokyo.   Cette dernière lui reproche jusqu'ici un abus de confiance, et d'avoir minoré ses revenus dans des rapports boursiers de Nissan entre 2010 et 2018.

Lors de sa première comparution devant la justice la semaine dernière, le dirigeant, qui fait l'objet de trois différentes inculpations et risque en théorie jusqu'à 15 ans de prison, s'était dit « faussement accusé ».

Le groupe japonais pouvait-il ignorer ces agissements supposés ? « Carlos Ghosn avait, du fait de ce qu'il a accompli, un très grand crédit au sein du groupe », a répété Hiroto Saikawa, le patron de Nissan, dans une interview aux quotidien Les Echos, jugeant « absurde » le scénario d'un complot.

Le soir même de l'arrestation de son ancien mentor, M. Saikawa avait dénoncé la concentration de pouvoir entre les mains de celui qui avait réussi à rassembler Renault et Nissan en 1999, au sein d'une Alliance appelée à devenir le premier groupe automobile mondial.