Sur fond de campagne anticorruption et de ralentissement économique, la Chine a perdu de son éclat pour l'automobile de luxe et les constructeurs haut de gamme, qui cherchent la parade pour enrayer le tassement des ventes sur un marché devenu incontournable.

À l'heure où se préparait le salon de Shanghai, c'est l'accident spectaculaire entre une Lamborghini et une Ferrari à l'issue d'une course sauvage entre deux jeunes dans Pékin qui excitait les conversations des internautes chinois.

«Qui sont leurs pères?», demandaient-ils. Lors d'un précédent accident de Ferrari en 2012, le conducteur s'était avéré le fils d'un proche conseiller de l'ex-président Hu Jintao. Ce conseiller avait été ensuite limogé pour corruption.

Les marques emblématiques de l'ultra-luxe voient le faste des dernières années s'estomper, balayé par d'aggressives campagnes prônant l'austérité. Certains industriels déplorent «une stigmatisation» propre à effrayer les acheteurs.

Malgré la présentation en grande pompe de la nouvelle Phantom de Rolls-Royce dans un musée shanghaïen, le climat s'est refroidi pour le mythique constructeur britannique.

«Nous rencontrons des vents contraires», reconnaît Peter Schwarzenbauer, haut dirigeant de BMW responsable de Rolls-Royce.

«Nous n'en vendons pas autant qu'en 2013», avec un ralentissement sensible «depuis l'été dernier». «Nous avons dû ajuster notre production parce que nous ne pouvons pas brader la marque».

Rolls-Royce avait vu ses ventes grossir de 11% en 2013 en Chine, qui représentait alors 28% de ses revenus, sur 3630 unités écoulées dans le monde.

Bentley et Lamborghini ont fléchi dès 2013. L'italien Maserati vise cette année une simple stabilisation de ses ventes -- après un doublement en 2014, à 9400 voitures.

«Changement culturel»

Un créneau en-dessous, les constructeurs de luxe, dont les véhicules s'écoulent entre 39 000 et 242 000 dollars, ne sont pas épargnés.

Le marché chinois pour les voitures haut de gamme - dominé par les Allemands - a grimpé de 22% l'an dernier, progression deux fois moindre qu'en 2011, d'après IHS Automotive.

Audi, marque premium de Volkswagen, a vu ses ventes au premier trimestre gonfler de 7,1%, très en-deçà du bond de 21% enregistré un an plus tôt.

Outre le tarissement des commandes gouvernementales, «on assiste à une évolution culturelle sur la façon dont on affiche sa richesse. Depuis l'été dernier, c'est une tendance lourde», a observé Luca de Meo, responsable des ventes d'Audi.

Le fort changement de braquet de la deuxième économie mondiale se fait également cruellement sentir: ceux qui voient fondre leur patrimoine immobilier tendant «à consommer très différemment», souligne Dietmar Voggenreiter, président d'Audi China.

Les concessionnaires chinois, eux, se plaignent ouvertement - par la voie de la CADA, une fédération professionnelle - de stocks qui s'accumulent, tandis que les rabais consentis grignotent leurs marges.

Des récriminations telles que la CADA s'était félicitée début janvier d'avoir persuadé BMW de verser 5,1 milliards de yuans (1 milliard de dollars) à ses concessionnaires pour compenser des bénéfices moins solides qu'attendu.

Sur-mesure et public élargi

Pour les constructeurs cependant, pas question d'ignorer le premier marché mondial, qui pourrait aussi -- prédit Mark Fields, patron de Ford -- «devenir l'an prochain le premier marché pour l'automobile de luxe».

Les grands noms de l'utra-luxe misent sur leur réputation et leurs efforts pour satisfaire tous les caprices.

Ferrari invite à configurer soi-même son véhicule. «Il y a des matériaux spéciaux, des couleurs originales» pour la carrosserie «et cela marche très bien. Pour avoir une voiture exclusive, (les Chinois) sont prêts à attendre», assure Matteo Torre, directeur de Ferrari Chine.

«Il reste un segment significatif de jeunes ultra-riches qui veulent à tout prix conduire une Lamborghini ou une Ferrari. Il est peu vraisemblable que les scandales actuels les fassent reculer», abonde Namrita Chow, du cabinet IHS.

Lincoln, marque haut de gamme de Ford, affirme se distinguer de l'«ostentatoire» pour promouvoir «une expérience de conduite» à la carte et des services après-vente inédits (la possibilité de surveiller sur place ou via webcam le remplacement des pièces détachées).

Kumar Galhotra, président de Lincoln, avance d'ambitieux objectifs: avec 11 points de vente actuellement en Chine, la firme prévoit d'en ouvrir 14 de plus cette année, et de compter «60 concessionnaires fin 2016».

De façon générale, les marques premium cherchent à élargir leur public en étendant, à l'image de Audi, leur gamme de véhicules plus petits.

Avec l'espoir d'attirer de jeune primo-acquérants moins fortunés mais «qui pourraient devenir ensuite des clients fidèles», indique M. Voggenreiter.