(Shanghai) Les constructeurs automobiles, réunis mardi au salon de Shanghai, affrontent une chute inédite de leurs ventes en Chine, traditionnel moteur du marché mondial, mais aussi la montée en puissance des marques locales, portées par l’essor des véhicules électriques.

Organisée tous les deux ans à Shanghai, en alternance avec Pékin, la fête s’annonce agitée : en 2018, les ventes automobiles ont reculé en Chine (-2,8 %) pour la première fois en trois décennies, même si, avec 28,08 millions de véhicules écoulés, le géant asiatique reste l’incontournable premier marché du globe.

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Un policier patrouille aux abords du Salon de l'auto de Shanghaï, avant l'arrivée des visiteurs.

Pire : les seules ventes de voitures individuelles ont fondu de 4,1 %, à 23,7 millions d’unités, et la glissade s’est accélérée au premier trimestre (-14 %).

« C’est la première fois depuis le décollage du marché chinois qu’il y a une baisse aussi longue et aussi marquée des ventes. On commence à s’inquiéter un peu », indique à l’AFP Laurent Petizon, expert chez Alix Partners.

Le repli est la conséquence d’un sévère resserrement du crédit sur fond d’essoufflement économique, observe Yujiao Lei, expert du cabinet Wood Mackenzie. Mais il y voit surtout le contre-coup de la fin d’un rabais fiscal sur les petites cylindrées, qui avait temporairement gonflé le marché.

« Nous faisons face à des complications à court terme », a reconnu récemment Chen Anning, PDG de Ford Chine, tout en se réjouissant de nouvelles mesures de relance et de baisses de TVA adoptées par Pékin.

Face au refroidissement, les constructeurs misent sur le soutien des autorités, et investissent les créneaux les plus porteurs : les 4x4 urbains (VUS) et voitures électriques qui monopoliseront l’attention à Shanghai.

L’électrique en vedette

Les VUS au châssis surélevé, très appréciés des consommateurs, représentent désormais 40 % des ventes en Chine. « Vu l’appréciation des salaires et l’abandon de la politique de l’enfant unique, on assiste à l’essor des voitures de meilleure qualité et à l’habitacle élargi pour les familles », insiste Yujiao Lei.

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L'Icona Nucleus, un prototype électrique autonome, attirait déjà les regards du personnel avant l'ouverture du Salon de l'auto de Shanghaï.

Même si elles ne pèsent encore que 4 % du marché, les voitures électriques (y compris hybrides) seront les vraies vedettes du salon. Dopées par une politique agressive de Pékin et un système de généreuses primes à l’achat, leurs ventes se sont envolées l’an dernier de 62 %.

Certes, la Chine a annoncé fin mars la réduction de moitié des primes à l’achat, pour ce type de véhicules, avant une suppression attendue en 2020. Mais le régime impose désormais aux constructeurs des quotas de production de voitures « propres », tout en maintenant des avantages aux acheteurs – comme l’obtention facilitée d’une plaque d’immatriculation.

De quoi aiguillonner une pléiade de start-up chinoises aux ambitions de challengers (Lynk & Co ou Nio) et conforter les géants chinois (BYD, SAIC ou BAIC), qui s’arrogent plus de 90 % du marché de l’électrique, leur chasse gardée.

Comme elles dominent aussi le créneau des VUS, les marques des constructeurs locaux rognent la domination des marques étrangères : elles se sont hissées à 42 % des immatriculations l’an dernier.

Le défi est de taille pour les constructeurs étrangers, contraints de s’adapter rapidement. Ainsi, Ford prévoit 30 nouveaux modèles sur trois ans en Chine (dont une dizaine d’électrifiés) et GM vingt nouveaux modèles dès 2019. De son côté, Tesla a entamé la construction d’une « giga-usine » près de Shanghai.

Ouverture

Les marques locales montent aussi en gamme et font particulièrement mal aux groupes tels que les français PSA, dont les ventes sont en chute libre, ou Renault, dernier occidental arrivé en Chine…

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Le personnel du salon apporte la touche finale à cette Aston Martin.

L’équation se complique donc au moment où Pékin promet une ouverture accrue du secteur : l’obligation pour les constructeurs étrangers de s’associer en coentreprise avec un groupe chinois sera levée d’ici 2022. BMW a déjà conclu un accord pour prendre la majorité (75 %) de sa filiale avec Brilliance. D’autres y réfléchissent.

Devenu plus mature, le marché chinois restera-t-il le moteur de l’automobile mondiale ?

« On est encore loin des (taux) d’équipement des pays occidentaux », ce qui préserve « des fondamentaux pour une croissance continue pendant encore de nombreuses années », estime M. Petizon. Le développement économique et l’urbanisation du centre du pays y contribueront.

Cette année, la fédération chinoise CAAM anticipe une quasi-stagnation des ventes.

Mais « l’an prochain, le marché remontera petit à petit et, dans 3 à 4 ans, il aura retrouvé sa croissance d’avant », affirme Ferdinand Dudenhöffer, du Center Automotive Research. « Son importance va encore s’accroître, notamment dans l’électrique ».