Malgré leur bonne volonté, les gouvernements sont souvent en rattrapage devant l'évolution fulgurante des véhicules autonomes. C'est ce qu'affirment plusieurs acteurs et observateurs de l'industrie. Tour d'horizon de ce qui se fait --et de ce qui ne se fait pas-- à Ottawa, au Québec et ailleurs.

Des tests à Blainville

La plupart des tests automobiles de Transports Canada sont menés à son centre de Blainville, un vaste terrain qui ressemble à une piste de course, avec un hangar dans lequel des collisions sont simulées plusieurs fois par année.

Lors du passage de La Presse, des tests étaient faits pour évaluer les pilotes automatiques des voitures Tesla et les systèmes de freinage offerts sur des véhicules de plus en plus nombreux. Le Ministère examine aussi la technique de platooning, où un convoi de trois camions intelligents roulent très près l'un de l'autre pour tenter d'économiser de l'énergie. Les technologies qui y sont mises à l'épreuve sont déjà sur le marché : « Ces technologies-là sont poussées à leur maximum, et elles vont faire partie de la base des véhicules autonomes », explique Dominique Charlebois, ingénieur principal à la recherche sur la prévention des accidents.

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À Blainville, Transport Canada teste, entre autres, les systèmes de freinage automatique. Photo: Olivier Pontbriand, La Presse

Vers de nouveaux mannequins ?

Suzanne Tylko gère le programme de recherche de Transports Canada sur la résistance à l'impact. Elle fait entre 60 et 80 tests de collision par année à ce centre de Blainville.

Selon elle, l'avènement des véhicules autonomes exigera la création d'un nouveau type de mannequins, une évolution sur laquelle elle travaille actuellement. « On va se retrouver avec des occupants dans des positions beaucoup plus décontractées et les mannequins ne sont pas du tout conçus pour représenter des gens décontractés », dit-elle. Mme Tylco espère par ailleurs qu'une plus grande autonomie ne se traduira pas par des reculs sur le plan de la sécurité.

« Énormément de travail a été fait pour convaincre les gens de porter leur ceinture ; il ne faudrait pas détruire tout ça avec l'arrivée d'une nouvelle technologie... »

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L'avènement des voitures autonomes rend nécessaire la conception de nouveaux mannequins de tests. Photo: Olivier Pontbriand, La Presse

Scénarios catastrophes

En témoignant devant le comité sénatorial sur les transports, le chef adjoint de la sécurité des technologies de l'information au Centre de la sécurité des télécommunications du Canada a confié que « la croissance est beaucoup plus rapide que ce [qu'ils avaient] prévu » dans le domaine des véhicules autonomes, et qu'ils « [doivent] [...] y consacrer davantage de temps ».

Il entend ainsi travailler avec Transports Canada, entre autres, pour élaborer des stratégies. Son collègue de la GRC, le surintendant principal Eric Stubbs, a énuméré une série de scénarios catastrophes qui préoccupent la police fédérale, comme un pirate informatique qui stopperait une voiture au beau milieu d'une autoroute.

« Les organismes policiers pourraient devoir être en mesure de désactiver des véhicules automatisés [...] afin de sauver des vies », a-t-il proposé.

Eric Stubbs, surintendant principal de la GRC. Photo: PC

Un Sénat critique

Le sénateur Dennis Dawson, qui préside le comité du Sénat sur les transports qui mène actuellement une étude sur les véhicules autonomes, le dit sans détour : « Le gouvernement fait du rattrapage. »

C'est le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, qui a proposé au comité de lui faire des recommandations pour gérer la révolution qui s'annonce. Mais « tout ça est en train de se faire à la vitesse grand V, plus vite malheureusement que le ministère des Transports est en train de le faire », note le sénateur Dawson. Il donne l'exemple de l'harmonisation des règles à travers le pays : « Si on ne règle pas la réglementation interprovinciale, si on ne règle pas l'encadrement entre autres sur la protection des consommateurs ou la protection de la vie privée que les automobiles devront avoir, ça va être un désastre. »

Le sénateur Dennis Dawson préside le comité du Sénat sur les transports. Photo: PC

Priorité pour Marc Garneau

Le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, ne s'en cache pas : « Quand de nouvelles technologies arrivent sur le marché, quand il est question de réglementer ça, le gouvernement doit faire du rattrapage. »

C'est la raison pour laquelle, dit-il, il a recommandé à un comité du Sénat de se pencher sur la question et de lui faire des recommandations sur la marche à suivre pour le gouvernement dans les années à venir. M. Garneau donne l'exemple de l'Île-du-Prince-Édouard qui a banni l'automobile, cet « engin de la mort », pendant presque 10 ans au début du siècle dernier.

« Quand il est question de développer de nouvelles technologies, il y a lieu pour le gouvernement de démontrer une certaine souplesse », dit-il.

Le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, au récent Salon du véhicule électrique de Montréal. Photo: PC

Le gouvernement s'active en Ontario

Le gouvernement de l'Ontario est souvent cité en exemple ces jours-ci pour son action sur les véhicules autonomes.

Il a notamment délivré des permis à des entreprises ou organismes pour qu'ils puissent mener des tests sur les routes de la province avec des véhicules autonomes, dans le cadre d'un projet pilote lancé en janvier. Ross McKenzie, le directeur du centre de recherche sur les automobiles à l'Université de Waterloo, estime qu'« en majeure partie, les gouvernements, tant provinciaux que municipaux, au Canada appuient le développement de ces technologies émergentes ».

Le centre de recherche développe lui-même une voiture autonome, nommée Autonomoose, et est détenteur de l'un des permis ontariens.

Le Centre de recherche automobile de l'Université de Waterloo planche sur un logiciel de conduite autonome. La voiture est surnommée Autonomoose (Autorignal). Photo: U. de Waterloo

Occasions manquées au Québec

Au Québec, acteurs et observateurs sont plus critiques à l'égard du gouvernement de la province et de certaines administrations municipales.

« À mon avis, on est en retard. La seule province qui est un peu dans la course, c'est l'Ontario », estime Nicolas Saunier, professeur à Polytechnique Montréal et spécialiste des véhicules autonomes. La municipalité de Terrebonne a annoncé un projet de navette sans pilote dans l'un de ses quartiers, mais à la Société de l'assurance automobile du Québec, qui devrait accorder le permis, on indique qu'on n'a toujours pas reçu de proposition. Quant au ministère des Transports du Québec, un porte-parole indique qu'on est « vraiment en mode observation, pour voir ce qui va se passer » dans le paysage des véhicules autonomes. Yves Provencher, dont l'entreprise tente de développer un projet de navette fabriquée au Québec, croit que les villes ont raté une occasion en or de faire des projets pilotes dès cet été, alors que des navettes étaient en démonstration à Montréal et dans les environs.

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La navette autonome Navya, lors d'un essai à Montréal le 15 mai dernier. Photo: Alain Roberge, La Presse

Opportunités

« Bien qu'il y ait plusieurs craintes, nous le voyons aussi comme une occasion favorable », estime la ministre fédérale du Travail, Patty Hajdu, au sujet de l'arrivée des véhicules autonomes dans le contexte du marché du travail.

Elle cite quelques exemples, dont les fonds alloués dans le dernier budget pour le développement de nouvelles compétences dans la population. Le gouvernement fédéral a aussi attribué plusieurs centaines de millions de dollars à l'innovation, dans le domaine de l'intelligence artificielle notamment. Une poignée de lobbyistes sont d'ailleurs déjà inscrits au registre pour discuter de véhicules autonomes avec le gouvernement fédéral. Au Québec, plusieurs initiatives sont développées, surtout dans le secteur privé. L'Institut du véhicule innovant, un centre collégial de transfert de technologies établi à Saint-Jérôme, mène pour sa part des projets pour automatiser de la machinerie dans le secteur agricole.

Patty Hajdu, ministre fédéral du Travail. Photo: PC