D'année en année, la congestion s'aggrave dans le Grand Montréal. Est-ce irréversible ? Pas nécessairement, disent les experts. De la voiture autonome et partagée à la taxe kilométrique en passant par les voitures volantes, les idées ne manquent pas pour améliorer la mobilité. Cependant, les obstacles restent nombreux sur la voie d'un avenir radieux.

C'est un beau matin de septembre 2027 (ou 2057, vous diront les observateurs plus prudents). Avant de partir pour le travail, vous saisissez votre iPhone14 (ou 39) et ouvrez l'application de votre fournisseur de solutions de déplacement.

Ce matin, votre fournisseur vous propose les options suivantes, toutes incluses dans votre forfait mensuel :

- un vélo avec assistance électrique en libre-service à deux pas de chez vous. Trajet vers le boulot : 45 minutes.

- une navette électrique autonome qui passera au coin de la rue pour vous amener à la station de métro. Trajet :  42 minutes.

- des taxis-robots (électriques, bien sûr) qui peuvent vous cueillir à la maison dans trois, six ou dix minutes. Trajet : 46 minutes.

Comme il fait beau, vous optez pour le vélo. Avenue Papineau, vous circulez sur une large piste cyclable en bordure du trottoir, où étaient jadis stationnées les voitures. Elles n'ont désormais plus le droit de se garer là. De toute façon, les voitures privées se font de plus en plus rares en ville. Vous avez largué la vôtre il y a deux ans. La « taxe kilométrique » était trop élevée.

Et vous savez quoi ? Votre voiture ne vous manque pas du tout.

Ce minibus autonome appelé Robo-Taxi est utilisé pour les courtes de distances au Salon de l'auto de Francfort. Il a été conçu par l'équipementier automobile allemand Continental. Photo: AP

«Je dis à mes enfants de ne pas apprendre à conduire»

Voilà peut-être à quoi pourrait ressembler l'avenir de la mobilité urbaine dans 10, 20 ou 30 ans. Une vision idéale, certes, mais qui semble néanmoins partagée par plus d'un observateur.

« Le transport de l'avenir va être vert, autonome, connecté et partagé», dit Catherine Morency, titulaire de la Chaire Mobilité et professeure à Polytechnique Montréal. « Dans tous les grands congrès, actuellement, ce sont vraiment les composantes du véhicule de demain », indique Mme Morency.

À moyen ou à long terme ? « Ça, je ne le sais pas, répond-elle, mais je dis à mes enfants de ne pas apprendre à conduire... » Ses enfants ont 8, 10 et 12 ans. « Bon, peut-être que celle de 12 ans devrait passer son permis, nuance l'ingénieure en riant, mais il y a tellement d'autres options. »

Qu'ils soient plutôt optimistes ou plutôt réalistes, les experts à qui nous avons parlé s'entendent sur un point lorsqu'on leur demande de s'exprimer sur l'avenir de la mobilité urbaine : la voiture solo et privée, grande responsable de la congestion urbaine, devrait occuper moins de place au profit d'autres options.

« Le problème de congestion est causé par le fait que la capacité est inférieure à la demande », souligne Catherine Morency. On a longtemps essayé d'augmenter la capacité, souligne-t-elle, mais sans succès. La solution est ailleurs : il faut miser sur la réduction du nombre de véhicules sur les routes», croit-elle.

« Quand on veut réduire la dépendance à l'automobile, on veut aussi que les gens qui ont juste une option en aient plusieurs, dit-elle. Il faut que les gens puissent choisir. C'est la combinaison des options qui va faire en sorte que les conditions vont s'améliorer. »

Catherine Morency, titulaire de la Chaire Mobilité et professeure à Polytechnique Montréal. Elle voit l'avenir en vert. Photo fournie par Catherine Morency

La méthode finlandaise

C'est justement la direction qu'est en train d'emprunter la ville d'Helsinki, en Finlande : réduire la dépendance à l'automobile en facilitant l'accès à d'autres moyens de transport.

L'an dernier, la société MaaS Global (l'acronyme pour « Mobility as a Service ») a lancé sa plateforme Whim. Grâce à leur téléphone cellulaire, les utilisateurs indiquent où ils souhaitent aller et se font offrir, en temps réel, une variété d'options - transports en commun, taxi, vélo en libre-service, autopartage... Tous les services sont centralisés sur une seule et même plateforme. Différents forfaits mensuels sont proposés en fonction des besoins des utilisateurs.

Michael De Santis, ingénieur et président d'Innovation MI8, entreprise spécialisée en systèmes de transport intelligents, voit là un modèle d'avenir qui risque fort de s'exporter. D'ailleurs, Maas Global lancera bientôt une plateforme similaire au Royaume-Uni.

Comme un forfait téléphonique

« Le modèle, en gros, est comme un forfait de téléphonie, explique Michael De Santis. Les gens paient le service à un fournisseur et ce dernier s'occupe de leurs besoins en termes de déplacements. »

Les voitures autonomes (sans conducteur) s'inscrivent parfaitement dans ce modèle d'affaires. « Le jour où on aura des véhicules qui seront capables de se conduire tout seuls, c'est toute une dynamique qui pourrait changer : les gens n'auraient plus à acheter de véhicule, mais ils paieraient des forfaits pour obtenir des services de mobilité d'une compagnie X, Y, Z », dit Denis Gingras, professeur à la faculté de génie de l'Université de Sherbrooke et directeur du Laboratoire d'intelligence véhiculaire.

Autre promesse des véhicules autonomes: beaucoup moins de stress derrière le volant. En effet, une voiture qui peut gérer elle-même les accélérations, les virages et qui choisit l'itinéraire en fonction des travaux ou des bouchons soulagerait les conducteurs de toutes ces tâches. Fini, les changements de voie dangereux et les coups de klaxon qui font monter la pression ! On peut même envisager qu'un jour, les passagers pourraient commencer leur journée de travail pendant que la voiture se dirigera toute seule jusqu'au bureau.

Le garage souterrain de Cruise Automation, près de San Francisco, où cette filiale de GM installe son système de conduite autonome dans des Chevrolet Bolt tout électriques. Photo: Cruise Automation

Autonome et partagée

Aux yeux de Jean-François Barsoum, consultant délégué principal, villes intelligentes, chez IBM, la solution aux problèmes de congestion actuels pourrait résider dans la combinaison de trois concepts qui existent déjà : la voiture électrique, la voiture autonome et l'autopartage.

Si chaque personne possédait une voiture autonome, on verrait peut-être une amélioration de la congestion, indique Jean-François Barsoum. Or, cette amélioration pourrait être contrée par le fait que les véhicules autonomes, en rendant les déplacements plus agréables, pourraient contribuer à l'étalement urbain... et à la congestion.

« Il y a un point d'interrogation pour l'instant. La réponse à ce point d'interrogation là vient peut-être avec la gestion de l'autopartage, dit M. Barsoum

On pourrait ainsi voir apparaître des parcs de voitures électriques partagées, dit-il. « Ça devient presque comme des microbus, qui ramassent les gens et les déposent... Il peut y avoir trois ou quatre personnes en même temps dans le taxi qui se dirige généralement vers le même endroit, mais qui se font déposer et ramasser à différents endroits », explique Jean-François Barsoum, qui souligne que ce modèle permettrait de réduire le parc automobile et l'espace voué à la voiture.

Jean-François Barsoum, consultant délégué principal, villes intelligentes, chez IBM.

« Faut que ce soit comme ça, abonde Catherine Morency. Ça ne se peut pas qu'on gaspille autant d'espace pour stocker des autos ! La quantité d'espace consacré à des véhicules, faut le faire ! Quand on y pense vraiment... Il y a plein de choses à faire dans une rue, mais là, on stocke des autos. C'est fort. »

Denis Gingras croit lui aussi que l'avenir passe par l'autopartage. D'ailleurs, souligne-t-il, les particuliers pourraient avoir de la difficulté à acquérir un véhicule autonome, dont le prix pourrait varier de 350 000 $ à 500 000 $ pièce.

Choix politiques

Si les nouvelles technologies peuvent faciliter certaines choses, il ne faut pas non plus les voir comme des sauveurs, estime Catherine Morency, de Polytechnique. Les véhicules autonomes et connectés (qui peuvent se connecter à l'infrastructure du réseau routier ou aux autres véhicules circulant à proximité) ne sont pas LA solution aux problèmes actuels de congestion, estime-t-elle.

« On a tendance à s'imaginer que les technologies vont venir nous sauver parce qu'on ne veut pas prendre de décisions difficiles », constate Mme Morency. Ces « décisions difficiles » sont celles qui permettraient d'inverser le parti pris favorable à l'automobile privée en rendant cette dernière moins attrayante (taxes kilométriques, tarifications de stationnement, etc.) et, par le fait même, les autres modes plus attrayants.

Denis Gingras abonde : « Jusqu'à présent, est-ce que les gouvernements sont intervenus avec des projets de loi, des réglementations qui favoriseraient une diminution de véhicules sur les routes ? Il n'y a pas grand-chose qui a été fait... »

La mobilité de l'avenir, c'est aussi mettre plus d'argent dans les transports en commun et inverser le parti pris favorable à l'automobile privée. Photo:Olivier Pontbriand, La Presse

L'avenir de la mobilité, en un mot

Nous avons demandé à des experts de décrire en un mot l'avenir de la mobilité et des transports urbains.

Information

« Avec les technologies que nous avons aujourd'hui et celles que nous aurons dans l'avenir, je crois bien que nous aurons toute l'information en main pour prendre les bonnes décisions en ce qui a trait aux modes de déplacement. »

- Michael De Santis, ingénieur et président d'Innovation MI8

Lumineux

« L'avenir est lumineux. Et excitant. Nous avons vraiment une belle occasion de transformer la mobilité urbaine et de rendre nos routes plus sécuritaires et plus agréables. Ça ouvre des débouchés pour ceux qui ne peuvent conduire. Ça améliore l'accès aux villes. »

- Bob Pishue, analyste du transport chez INRIX, entreprise américaine qui analyse la circulation et la congestion automobiles dans le monde

Décision

« Nous sommes à la croisée des chemins. Les choix que nous ferons sur l'accommodement de l'autopartage et du véhicule autonome dans les prochaines années auront autant d'impact sur nos villes que nos choix sur la voiture en ont eu dans le dernier boom des villes. »

- Jean-François Barsoum, consultant délégué principal, villes intelligentes, chez IBM

Collaboratif

« Dans les congrès, on s'entend pour dire que la mobilité future sera partagée, électrique (ou respectueuse de l'environnement) et autonome. Je pense que les volets autonome et électrique sont des opportunités, alors que le volet partagé représente un changement plus profond. »

- Catherine Morency, titulaire de la Chaire Mobilité