Alors que des constructeurs promettent à très court terme des camions autonomes qui aideront à relever plusieurs défis économiques et environnementaux, Stéphane Lacroix, directeur des affaires publiques de Teamsters Canada, syndicat qui représente plus de 50 000 camionneurs en Amérique du Nord, s'inquiète des conséquences néfastes de cet empressement à remplacer les humains derrière le volant. Entrevue.

Q. Des start-up aux grands constructeurs, tous promettent des camions autonomes d'ici trois à cinq ans. Comment voyez-vous l'émergence de cette nouvelle technologie ?

R. On anticipe trois scénarios. Les camions pourraient être autonomes dans certaines conditions, comme sur l'autoroute, le camionneur prenant le volant le reste du temps. Ou ces camions se rendraient d'un point de chargement à l'autre et le camionneur ne se chargerait que du chargement. Ou alors, les camions autonomes feront tout du premier au dernier kilomètre. Dans tous les cas, que ce soit en raison des conditions météorologiques, de l'état des routes ou de la technologie elle-même, on n'a pas confiance. Avec ce qu'on voit en ce moment, mettre de tels véhicules sur les routes d'ici cinq à dix ans, c'est impensable. Le camion autonome de Budweiser qui a fait tant parler l'an dernier ? Il circulait sur une route lisse et droite, dans des conditions idéales. On n'a pas ça chez nous !

Q. La principale motivation stimulant le développement de cette technologie est son impact positif sur la sécurité routière. Qu'en pensez-vous ?

R. Des sociétés de transport au Québec testent déjà des camions avec des systèmes automatisés de niveau 2 ou 3 [conduite assistée avancée]. Dans un cas, sur l'autoroute Métropolitaine à Montréal, un problème avec un de ces camions a provoqué un accident qui a brûlé vif son conducteur. Dans d'autres cas, ils freinent souvent inutilement, détectant des obstacles qui n'en sont pas, ou ils interprètent mal la signalisation routière. En ce moment, même les essuie-glace automatiques ne fonctionnent pas comme on veut. Comment avoir confiance dans des véhicules autonomes ?

Q. Uber avance qu'en contribuant à réduire le coût du transport routier, ces camions autonomes entraîneront une hausse de la demande et, donc, du nombre de camionneurs. Est-ce un scénario envisageable ?

R. Cette théorie ne tient pas la route. Ce sont de 30 000 à 40 000 emplois qui sont menacés au Canada par cette technologie. Ça aura un coût social plus élevé qu'on pense, en salaires et en impôts perdus. Pour compenser, le gouvernement devra taxer ces entreprises. On croit que les camions autonomes vont finir par débarquer sur les routes, mais il faudra bien préparer le terrain pour assurer la transition des travailleurs qui perdront leur emploi.

Q. On dépeint souvent les camionneurs comme des travailleurs surtaxés par des horaires épuisants. L'automatisation d'une partie de leurs tâches n'est-elle pas une solution à ce problème ?

R. On anticipe déjà une pénurie de 20 000 à 30 000 camionneurs au Canada d'ici quelques années. Ce n'est pas la technologie qui résoudra ce phénomène, ce sont de meilleures conditions de travail. Les camionneurs sont pressés de toutes parts. Ce qu'on croit, c'est qu'il faudrait revenir à un modèle de transport routier plus humain. Mais ça demanderait des sous et de l'effort, alors les autorités préfèrent laisser les entreprises fournir leurs propres solutions technologiques. C'est dans l'air du temps...