Imaginez une route couverte de capteurs photovoltaïques, capable de transformer l'énergie du soleil en électricité et qui serait branchée au réseau de distribution du pays. Ce pays, hélas, ce n'est probablement pas le Canada, pour plusieurs raisons qu'on peut résumer par le mot «hiver» et qu'on vous expliquera un peu plus bas dans cet article.

Mais pour les pays tempérés, la route solaire proposée par la multinationale française Colas (elle a une filiale au Québec) n'est pas juste une théorie. Ce revêtement photovoltaïque que ses inventeurs français ont appelé WattWay (prononcer Ouate-ouéï) est fonctionnel et Colas a déjà commencé à le proposer aux divers ordres de gouvernement qui administrent le réseau routier en France et ailleurs en Europe.

Colas affirme que recouvrir un quart du réseau routier de France avec des panneaux WattWay rendrait le pays autosuffisant en énergie.

Capter l'énergie solaire grâce aux routes est une bonne idée: quand on scrute l'environnement urbain, il y a peu de grands espaces où installer des panneaux photovoltaïques. Il y a bien les toits, mais cela pose des problèmes d'esthétique, il faut convaincre chaque propriétaire et les surfaces sont morcelées.

«Les routes, par contre, représentent des centaines de milliers de kilomètres de surface plane et dégagée» prête à assumer une fonction supplémentaire, dit Philippe Raffin, directeur technique de la recherche et développement chez Colas.

La circulation intense des villes donne l'impression que les routes sont constamment à l'ombre de véhicules en mouvement ou immobilisés. Mais en moyenne, les routes sont ombragées par des véhicules durant seulement 90% de la journée, ajoute M. Raffin.

Mises au point de concert avec l'Institut national de l'énergie solaire de France, les dalles souples Wattway sont collées directement sur la route ou les grands stationnements, sans travaux de génie civil. Mais il faut installer des onduleurs à intervalles fixes sur le bord de la route, pour convertir le courant continu de l'énergie photovoltaïque en courant alternatif.

Chaque dalle WattWay mesure 1,75 m sur 70 cm et pèse 9 kg. Les cellules photovoltaïques sont constituées d'une mince couche de silicium polycristallin, recouverte d'une résine translucide très résistante à laquelle on mélange des agrégats pour assurer une adhérence comparable à celle de l'asphalte.

Coriace, mais pas à l'épreuve du déneigement

WattWay résiste aisément au passage des poids lourds, a dit à La Presse M. Raffin, de Colas.

Par contre, la compagnie n'a pas testé ses dalles photovoltaïques dans un environnement aussi extrême que l'hiver québécois, dit-il. « Nous avons fait une partie des tests à Grenoble, mais il n'a pas fait très froid en France durant les hivers récents. »

De prime abord, nos températures hivernales de -15 ou -20 degrés ne sont pas un problème, dit M. Raffin: «Au contraire, le froid augmente l'efficacité énergétique de notre système.» Et l'épandage de sel? «Le matériau qui recouvre WattWay est de type résine, il est insensible aux agressions salines.»

Par contre, le couvert de neige et de glace qui reste tout l'hiver sur certaines routes secondaires tamiserait beaucoup de lumière et réduirait certainement l'efficacité des panneaux WattWay.

Et surtout, nos méthodes de déneigement sont brutales. Les camions chasse-neige lancés à 95 km/h sur les autoroutes durant les tempêtes de neige laissent une traînée de flammèches causées par le frottement de la lame d'acier sur l'asphalte. Et les grosses niveleuses qui déblaient les routes urbaines appliquent une force plus grande encore sur la chaussée.

«Nous n'avons pas testé WattWay dans ces conditions, mais on peut considérer que s'il y a une agression mécanique de ce type, ça va forcément avoir un impact sur le panneau», dit l'ingénieur civil Raffin.

Le dégel, ennemi de WattWay

L'autre problème vient des fréquents épisodes dégel-regel de l'hiver québécois, puis du grand dégel printanier. Ces conditions extrêmes infligent au réseau routier des fissures et des nids de poule qui font souffrir les suspensions automobiles et rager les automobilistes. Les panneaux WattWay résisteraient-ils à de telles violences?

«Les plaques WattWay n'ont pas de rôle structurel. On se sert de l'infrastructure existante, sous réserve qu'elle soit à peu près correcte. S'il y a des nids-de-poule, de gros trous, ça ne fonctionne pas. [...] Au dégel, on se retrouve avec des déformations de la chaussée. Alors si elle doit bouger, WattWay bougera aussi, et s'il y a fissure, WattWay va suivre cette fissuration.»

Cela étant, changer une plaque endommagée n'est pas difficile. Par ailleurs, toute technologie est perfectible: M. Raffin dit que WattWay pourrait dans le futur être adaptée aux conditions nordiques.

Mais le marché naturel de WattWay semble se trouver plus à Tahiti qu'à Rimouski. Comme tous les systèmes photovoltaïques, plus on descend vers l'équateur, plus WattWay est efficace.

Pour ce qui est du coût par kilomètre, M. Raffin a refusé de donner ne serait-ce qu'une approximation. Chaque appel d'offres a des conditions d'installation et un prix unique, dit-il. Colas dit seulement que le coût de revient, pour les exploitants de réseaux électriques, serait d'environ 6 euros par watt-crête. Il faut 5714 panneaux WattWay pour couvrir 1 km de route à deux voies.