(Francfort) Volkswagen ID.3 ou Opel Corsa-e, derrière ces deux nouveautés du salon de Francfort se cachent deux approches opposées des véhicules électriques qui divisent les constructeurs : d’un côté une révolution technique à haut risque, de l’autre une évolution prudente.

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Herbert Diess, grand patron chez Volks, a posé devant l'ID.3, qui est la vedette du Salon de l'auto de Francfort.

Vedette du salon automobile de Francfort, qui ouvre ses portes au public jeudi, l’ID.3 est un pari à plusieurs milliards d’euros. À l’instar de la marque californienne Tesla, Volkswagen inaugure une base technique nouvelle, entièrement dédiée à l’électrique.

Elle permet de repenser l’architecture de la voiture pour exploiter pleinement l’espace libéré par la faible taille du moteur, la disparition du réservoir et de certaines pièces mécaniques.

Révolutionnaire, mais pas encore rentable

Résultat : un poids réduit, des designs innovants, une optimisation du volume de l’habitacle et de l’autonomie du véhicule.

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La nouvelle plateforme MEB a coûté extrêmement cher.

Mais Volkswagen a déjà prévenu que l’ID.3 ne serait pas rentable au démarrage. Sa nouvelle plateforme, baptisée MEB, a coûté extrêmement cher, et la production nécessite une usine spécifique.

Chez le rival français PSA (marques Peugeot, Citroën, DS, Opel, Vauxhall), numéro deux européen, on est beaucoup plus prudent.

Chez Peugeot, pas question de produire à perte

Pas question de produire à perte : ses plateformes (bases techniques des véhicules qui incluent le châssis et de nombreux éléments invisibles communs à plusieurs modèles) ont été conçues pour être multi-énergies.

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La Peugeot e-208 tout électrique est conçue sur la même plateforme que la 208 à essence. De plus, PSA l'assemble dans une usine à coût relativement bas en Slovaquie.

En clair, les Opel Corsa-e, Peugeot e-208 ou DS3 Crossback e-Tense reposent sur la même plateforme que leurs homologues à essence ou diesel.

De quoi réduire l’investissement, aller plus vite dans l’électrification de la gamme et être en mesure de réagir rapidement à la demande avec des voitures assemblées sur les mêmes lignes, estime Alexandre Guignard, responsable des véhicules à faibles émissions chez PSA.

« Il faut qu’on soit flexible, agile, on ne sait pas ce que sera le marché dans trois ans. Tout ça bouge très vite. »

-- Alexandre Guignard, responsable des véhicules à faibles émissions chez PSA

« D’ici 2025, tous les modèles PSA auront une version électrifiée disponible », assure-t-il, mais le groupe sera en mesure de déplacer facilement des volumes d’un mode de propulsion vers un autre.

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Comme l'actuel DS3 Crossback, tous les modèles PSA seront offerts en versions électriques et à essence (ou diesel) dès 2025.

Car le marché de l’électrique est très incertain. Ces véhicules sont encore nettement plus chers que les modèles à combustion interne sans couvrir les besoins de tous les automobilistes.

Leurs ventes doublent chaque année grâce à des subventions publiques et des progrès technologiques sont attendus pour augmenter la capacité des batteries. Mais, en Europe, elles ne pèsent encore que 2 % des volumes.

Différentes stratégies, différents risques technologiques

Entre plateformes dédiées à l’électrique et plateformes duales, chaque constructeur a donc sa stratégie. « Ce sont des paris technologiques », estime Laurent Petizon, expert automobile chez Alix Partners.

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Un VUS tout électrique proche du prototype I.D. Crozz, montré il y a deux ans à Francfort, sera commercialisé bientôt sous le nom de ID.4. Il est construit sur la plateforme dédiée MEB, la même que l'ID.3.

Qui a raison ? « Tout dépendra du rythme de décollage du véhicule électrique. S’il décolle très vite, les plateformes dédiées permettront de vendre des véhicules plus adaptés tout en limitant les coûts » amortis sur de longues séries. En revanche, « si le décollage est modéré, les plateformes multi-énergie réduiront les risques » financiers.

Hyundai a des plateformes duales et une plateforme dédiée

Le coréen Hyundai a jusqu’ici utilisé des plateformes partagées avec notamment son VUS compact Kona, dérivé en versions essence, diesel, hybride et électrique. Mais son Concept 45, exposé à Francfort, repose sur une plateforme purement électrique qui équipera de nouveaux modèles à partir de 2021.

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Le prototype tout électrique Hyundai 45 dévoilé au Salon de Francfort est construit sur une plateforme électrique dédiée. C'est une première pour Hyundai, qui a utilisé une plateforme duale sous le Kona 2019, décliné en versions électrique, hubride et à essence.

« On va conserver à la fois des plateformes multiproduits et des spécifiques 100 % électriques », explique Lionel French Keogh, directeur de la marque en France.

Les plateformes dédiées sont intéressantes pour optimiser le véhicule électrique, mais elles ne sont pas adaptées à des modèles écoulés dans le monde entier.

« Le véhicule électrique intéresse une partie de l’Asie, l’Europe et certains États américains. Mais dans de nombreuses régions il n’y a pas de demande », souligne-t-il.

Renault partage les coûts avec Nissan et Mitsubishi

« Il n’y a pas un schéma unique », estime aussi Gilles Normand, directeur des véhicules électriques chez Renault.

«Ça coûte vraiment très cher.»

-- Gilles Normand, directeur des véhicules électriques chez Renault.

PHOTO RENAULT

La Renault Zoé tout électrique a été renouvelée en 2019.

Fort de son expérience de pionnier et leader européen avec la citadine Zoe renouvelée cet automne, le constructeur prépare avec ses alliés Nissan et Mitsubishi une plateforme dédiée pour des voitures plus grandes.

« Ça coûte vraiment très cher à développer. Le faire avec l’alliance permet de réduire les coûts de 40 % », assure M. Normand.

D’où l’importance d’une taille critique. « Les constructeurs moyens n’ont pas la possibilité d’investir autant en R & D », souligne Eric Espérance, expert de Roland Berger. « Ils ont intérêt à tirer partie de leurs dernières plateformes » en les adaptant, « et à amortir leur outil industriel ».