Dissipons tout de suite un malentendu: le musée Henry Ford, à Dearborn, au Michigan, est souvent perçu comme La Mecque des maniaques d'autos. L'endroit où aller pour faire un tour de Modèle T, toucher la toute première Mustang jamais construite, en 1964, et admirer des voitures rares comme la Bugatti Royale Type 41 1931 et toutes les autres autos historiques de toutes marques que compte la collection. Le tout en arpentant les couloirs d'un bâtiment qui semble encore hanté par un géant de l'automobile, Henry Ford.

Vous pouvez y faire toutes ces choses, mais le Henry Ford, situé à quatre heures et demie d'auto à l'ouest de Toronto, est bien plus qu'un musée de l'automobile. C'est un des grands musées de l'histoire américaine, qui s'intéresse à de nombreux événements et phénomènes sociaux vécus aux États-Unis, et qui trouve souvent le moyen de les montrer à travers le pare-brise d'une auto.

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Ainsi, l'exposition Liberté et justice pour tous célèbre la lutte pour l'égalité raciale et les droits civiques durant les années 50 et 60. De nombreux artéfacts (y compris d'authentiques toges et cagoules de dignitaires du Ku Klux Klan) montrent la férocité de la ségrégation raciale dans le sud des États-Unis à cette époque. Or, la force de l'exposition est d'être centrée sur un véhicule célèbre, l'autobus dans lequel la couturière et militante noire Rosa Parks a refusé de céder son siège à un passager blanc en 1955, déclenchant un mouvement social qui a changé les États-Unis. Quand l'autobus tout délabré a été repéré, en 2001, le musée Ford l'a acheté et remis à neuf.

L'angle automobile sur l'histoire du musée Henry Ford se voit aussi dans un petit annuaire, The Negro Motorist Green Book de 1949, un guide de vacances publié par l'éditeur Victor Green, qui fournissait aux automobilistes noirs une liste d'hôtels et de restaurants des États-Unis où ils pouvaient entrer sans risque d'être insultés et jetés dehors. «Ce sera un jour merveilleux, celui où nous cesserons de publier parce que nous pourrons aller où bon nous semble sans risque d'être humiliés», y écrit l'éditeur dans la préface. Les trois seules adresses canadiennes données par le Green Book de 1949 étaient à Montréal.

Un tri intelligent

Henry Ford avait bien des qualités, mais il n'était pas exactement un boute-en-train. De son vivant, son musée était terne comme un entrepôt. C'était un collectionneur obsessif et richissime, fasciné par l'industrialisation, qui avait amassé quantité de machines et d'objets quotidiens fabriqués aux États-Unis, comme des chaussures, des caisses enregistreuses et de la vaisselle. Les autos étaient entassées sans ordre évident, une aile complète contenait des rouets et il y avait des centaines de machines à vapeur achetées partout au monde.

Aujourd'hui, il y a encore des meubles et des machines agricoles, mais on a fait un tri intelligent pour mettre en vedette l'automobile, l'aviation, le train et de nombreuses autres machines qui ont défini l'identité américaine et la modernité. C'est fait avec une dose d'humour, comme on le voit avec la «Saucisse-mobile», une voiture publicitaire en forme de saucisse à hot-dog, que le charcutier Oscar Meyer utilise pour annoncer ses produits.

Un ciné-parc et un McDonald's avec commande à l'auto ont aussi été aménagés avec leur lot d'artéfacts de la culture populaire.

«La machine la plus photographiée ici n'est pas une auto, c'est ceci», a dit Carrie Nolan, employée du musée, en montrant une gigantesque locomotive à vapeur de 603 tonnes à 12 roues motrices, construite en 1941 pour hâler plus de 160 wagons de charbon entre les mines du Kentucky et le Midwest industriel. La collection de locomotives (qui comprend un chasse-neige du Canadien Pacifique construit à Montréal en 1920) est aussi la plus populaire chez les enfants, qui peuvent monter à bord.

S'ajoute au complexe un musée extérieur de 360 000 mètres carrés, le Greenfield Village, qui permet de visiter des maisons d'importance historique pour les Américains et qui ont été déménagées et rénovées avec soin sur place. Comme Henry Ford avait un budget inépuisable pour sa passion, il a acheté des maisons et ateliers un peu partout... surtout ceux d'industriels comme lui et les autres innovateurs fortunés qu'il fréquentait, comme Thomas Edison (électricité), Harvey Firestone (pneus) et Luther Burbank (industrie agricole).

Il faut rendre à Ford ce qui appartient à Ford: certaines de ses lubies de collectionneur étaient, tout bien réfléchi, visionnaires. Certaines des immenses machines à vapeur et génératrices qu'il a fait transporter dans son musée sont monumentales. La «machine à vapeur gothique», construite en Angleterre en 1855, reproduit les arches d'une cathédrale et on voit la valeur de symbole qu'elle avait pour son propriétaire. Le poste de commande de l'immense génératrice électrique utilisée en 1920 par Ford pour alimenter son usine de Modèle T est aussi impressionnant: tous les leviers sont en inox et la bête ressemble à une passerelle de paquebot de l'époque, avec une grande roue qui fait penser à celle d'un navire, même si elle est horizontale.

Ford et le syndicalisme

Le musée ne cache pas les travers de son illustre fondateur: la brutalité antisyndicale de la Ford Motor Company, durant les années 30 et 40, est documentée avec précision par le musée. Quand des fiers-à-bras engagés par Ford ont battu des organisateurs syndicaux (devant un photographe d'un journal de Detroit) le 16 mai 1937, les photos ont fait le tour des États-Unis. Un dossier du musée détaille non seulement les violences et la nature des blessures subies par les syndicalistes (dont une fracture de la colonne vertébrale), il identifie le directeur de la sécurité responsable des violences, et donne même les noms d'un chef de gang criminel, d'un champion de boxe et de deux lutteurs professionnels engagés pour cette basse besogne.

Photo fournie par le musée Henry Ford

La «machine à vapeur gothique», construite en Angleterre en 1855, reproduit les arches d'une cathédrale et on voit la valeur de symbole qu'elle avait pour son propriétaire.